L’émergence des intelligences artificielles (IA) génératives, telles que ChatGPT, MidJourney ou DALL-E, a bouleversé les paysages créatifs, juridiques et éthiques.
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Au cœur de ces systèmes se trouve le prompt, cette instruction textuelle ou visuelle par laquelle un utilisateur guide l’IA pour produire un résultat spécifique : un texte, une image, une musique, etc. Si le prompt est devenu un outil clé de la création contemporaine, sa nature hybride – entre commande technique et expression créative – soulève une question juridique majeure : un prompt est-il protégeable au titre du droit d’auteur ?
Le droit d’auteur, fondé sur des principes séculaires, exige traditionnellement qu’une œuvre soit originale (portant l’empreinte de la personnalité de son auteur) et matérialisée (fixée sur un support tangible). Or, les prompts oscillent entre la simplicité fonctionnelle (« Écris une poésie sur l’hiver ») et la complexité littéraire (des descriptions détaillées, structurées en plusieurs couches stylistiques). Certains y voient des « recettes » techniques, trop brèves ou génériques pour mériter une protection, tandis que d’autres les comparent à des scénarios, des partitions ou des scripts, où la créativité humaine est manifeste.
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Cette ambiguïté s’inscrit dans un contexte juridique en pleine mutation. Les législations nationales et internationales peinent à suivre le rythme des innovations technologiques. Par exemple, l’Office américain du droit d’auteur (USCO) a récemment statué que les œuvres générées par une IA sans intervention humaine significative ne sont pas protégeables, mais la question du prompt lui-même reste en suspens.
En Europe, le droit d’auteur exige une « création intellectuelle propre à son auteur », ce qui pourrait inclure certains prompts élaborés, mais aucune jurisprudence ne tranche clairement. Les enjeux sont considérables : si les prompts étaient protégés, les créateurs pourraient contrôler leur réutilisation, voire monétiser leur expertise dans la formulation de requêtes efficaces.
À l’inverse, une protection trop étendue risquerait d’entraver l’innovation, en limitant l’accès à des combinaisons de mots ou d’idées considérées comme libres. Cette tension entre incitation à la créativité et libre accès à la connaissance résume les défis posés par le droit d’auteur à l’ère numérique.
Le droit d’auteur, qu’il soit continental (Europe) ou de common law (États-Unis), repose sur un critère central : l’originalité. Cette notion, souvent interprétée comme l’« empreinte de la personnalité de l’auteur » CJUE, Arrêt Infopaq, 2009) ), exige que l’œuvre reflète des choix créatifs libres et individualisés. (1) Or, la majorité des prompts, par leur nature concise et fonctionnelle, peinent à satisfaire ce critère.
Il relève davantage d’une idée ou d’un concept que d’une expression artistique structurée. En droit français, les idées sont explicitement exclues de la protection (Article L112-1 CPI), et la jurisprudence a confirmé que des phrases trop brèves ou génériques (ex. slogans publicitaires) ne sont pas protégeables (Cass. Civ. 1ère, 2005, Eva Promotion).
Aux États-Unis, le Copyright Act exige une « créativité minimale » (Feist Publications v. Rural Telephone Service, 1991), un seuil que les prompts courts ne franchissent souvent pas.
Un prompt comme « Écris une histoire d’amour tragique entre une astronaute et un robot » pourrait être considéré comme une idée narrative, surtout s’il est formulé de manière générique. En revanche, un prompt détaillant des dialogues, des descriptions de personnages et des rebondissements pourrait franchir la barrière de l’expression. Cette distinction est cruciale : si un tribunal juge qu’un prompt ne fait que décrire un concept, il sera irrecevable à la protection.
Les titres d’œuvres (« Les Misérables »), les noms de produits (« iPhone ») ou les slogans (« Just do it ») sont rarement protégés, sauf s’ils démontrent une originalité exceptionnelle (ex. « Le Silence des Agneaux », protégé en France pour son caractère poétique). Les prompts courts s’apparentent à ces catégories : leur brièveté limite leur capacité à incarner une « création intellectuelle propre » (Directive UE 2019/790). (2)
Le droit d’auteur exige généralement que l’œuvre soit fixée sur un support tangible. Cette exigence varie selon les systèmes juridiques : stricte aux États-Unis (17 U.S.C. § 102), plus flexible en Europe (où les œuvres orales ou improvisées peuvent être protégées si elles sont ultérieurement fixées).
Un prompt donné oralement à une IA (ex. commande vocale à Siri ou Alexa) et non sauvegardé échappe à la protection, car il n’est pas fixé. Même dans les pays où la fixation n’est pas obligatoire (ex. France), l’absence de preuve matérielle rend la revendication de droits quasi impossible. En pratique, cela exclut une grande partie des interactions quotidiennes avec les IA.
Même lorsqu’un prompt est écrit, prouver sa paternité et sa date de création est complexe. Contrairement aux œuvres traditionnelles (dépôt chez un notaire, enveloppe Soleau), les prompts circulent souvent dans des espaces numériques non sécurisés.
Des outils comme la blockchain émergent pour timbrer des créations, mais leur usage reste marginal. Sans preuve solide, un créateur ne peut invoquer ses droits face à une copie ou une réutilisation frauduleuse.
La jurisprudence offre quelques parallèles. Par exemple, un discours improvisé est protégé dès lors qu’il est enregistré. (3) De même, une chorégraphie non notée mais filmée peut être couverte par le droit d’auteur. Toutefois, ces exceptions concernent des œuvres a posteriori fixées, alors que de nombreux prompts disparaissent après leur exécution par l’IA, sans trace intentionnelle.
Certains prompts atteignent un niveau de sophistication tel qu’ils pourraient être requalifiés en œuvres protégeables, sous deux angles principaux : littéraire ou technique.
Un prompt structuré comme un scénario, avec des personnages, des dialogues et des arcs narratifs détaillés, peut être assimilé à une œuvre littéraire. Par exemple : « Rédige un chapitre de roman dans le style de Victor Hugo, décrivant un orage sur Paris en 1830, où un jeune révolutionnaire, blessé, se réfugie dans une église et y rencontre une religieuse aux secrets troublants. Inclure des métaphores liées à la lumière et à l’eau, et un monologue intérieur sur la rédemption. » Ce prompt dépasse l’instruction basique : il inclut des choix stylistiques, des éléments narratifs complexes et une intention artistique.
En droit européen, une telle création pourrait satisfaire l’exigence d’« œuvre de l’esprit » (CJUE, Painer, 2011), car il reflète une individualisation manifeste. (4)
Certains prompts s’apparentent à des algorithmes ou des scripts, notamment lorsqu’ils utilisent des structures conditionnelles (« Si l’utilisateur mentionne X, alors génère Y ; sinon, utilise Z »). Aux États-Unis, les codes informatiques sont protégés par le droit d’auteur (17 U.S.C. § 101), et un prompt complexe pourrait être vu comme un « code naturel » (instructions en langage courant mais structurées logiquement).
De même, en Europe, une suite organisée de prompts guidant une IA pas à pas pourrait être qualifiée de base de données protégeable (Directive 96/9/CE), si elle reflète un investissement substantiel.
La protection des prompts dépend largement du cadre juridique et de l’intention derrière leur création.
– Aux États-Unis, le fair use (usage équitable) et la doctrine des scènes à faire (éléments indispensables à un genre) limitent la protection des œuvres minimalistes. Un prompt comme « Décris une bataille spatiale entre vaisseaux aliens » pourrait être considéré comme trop générique pour être protégé, car relevant d’idées communes.
– En Europe, la protection est plus large : tout élément reflétant une « création intellectuelle propre » est éligible (CJUE, Football Dataco, 2012). (5)
Un prompt détaillé intégrant des références culturelles précises (ex. « Peins une scène inspirée de la mythologie grecque, où Athéna discute avec un robot, dans un style cubiste ») pourrait être protégé, car il combine originalité et fixation.
Les tribunaux pourraient distinguer les prompts utilitaires (ex. « Génère un résumé de cet article ») des prompts artistiques (ex. « Écris un poème en alexandrins sur la mélancolie des robots amoureux »). Dans le second cas, l’intention de créer une œuvre expressive est évidente, renforçant la revendication de droits. Cette distinction existe déjà en droit français, où les œuvres « utilitaires » (ex. manuels techniques) sont protégées, mais sous un régime parfois différent des œuvres artistiques.
Bien qu’encore rares, des cas émergent. En 2023, l’Office américain du droit d’auteur (USCO) a refusé la protection d’une image générée par MidJourney, mais a laissé ouverte la possibilité de protéger le prompt si celui-ci est suffisamment créatif.
Parallèlement, des plateformes comme PromptBase commercialisent des prompts élaborés, invitant à une reconnaissance implicite de leur valeur juridique. À terme, un litige opposant un créateur de prompts à un utilisateur les copiant massivement pourrait clarifier le paysage.
La protection des prompts sous le droit d’auteur repose sur un équilibre délicat :
– Pour les obstacles : La nature fonctionnelle, la brièveté et les défis de fixation rendent la protection difficile pour la majorité des prompts.
– Pour les possibilités : Les prompts complexes, combinant créativité littéraire ou technique, pourraient franchir les seuils juridiques, surtout dans des systèmes ouverts comme l’Europe.
Cette dualité reflète un débat plus large sur la place de l’humain dans la création assistée par IA. Si le droit évolue vers une reconnaissance accrue des prompts créatifs, cela pourrait redéfinir les notions d’auteur, d’originalité et de collaboration homme-machine.
À l’inverse, un refus catégorique de protection risquerait de décourager l’innovation, en privant les créateurs de moyens de contrôler leurs contributions immatérielles mais essentielles.
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Sources :
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