L’avènement de l’intelligence artificielle n’est pas une simple révolution technologique ; c’est un séisme conceptuel qui fissure les fondations de nos systèmes juridiques, hérités d’une ère où la création était l’apanage exclusif de l’esprit humain.
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Dans le domaine foisonnant et stratégique de la propriété intellectuelle, la génération algorithmique de noms de marque par l’IA pose une question vertigineuse, aux implications bien plus profondes qu’il n’y paraît : un signe distinctif “enfanté” par le Code peut-il légitimement accéder au statut protecteur de marque déposée ? Cette interrogation n’est pas une simple curiosité théorique. Elle touche au cœur de la valeur économique des entreprises à l’ère numérique, où l’identité de marque est un capital immatériel décisif.
Le développement exponentiel d’outils d’IA capables de produire des milliers de dénominations en quelques secondes – des combinaisons linguistiques parfois inédites, souvent évocatrices, toujours rapides – bouleverse les pratiques traditionnelles de naming. Cette efficacité algorithmique génère cependant une tension fondamentale avec les cadres juridiques existants, conçus pour des créateurs de chair et d’os.
Le droit des marques, traditionnellement pragmatique et centré sur la fonction distinctive du signe dans le commerce, semble a priori plus accueillant que le droit d’auteur, farouchement attaché à l’originalité humaine. Mais cette apparente perméabilité cache des écueils subtils. (1)
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L’absence de mention explicite de l’origine humaine dans la définition légale française de la marque (Art. L.711-1 CPI) ouvre-t-elle vraiment grand la porte aux créations purement algorithmiques, ou s’agit-il d’un silence lourd d’ambiguïté ?
La question dépasse largement le simple respect formel des critères classiques de distinctivité, de licéité, de non-déceptivité et de disponibilité. Elle engage une réflexion sur l’attribution de la paternité créative dans une chaîne de valeur hybride, sur la transparence des processus algorithmiques (l’IA a-t-elle involontairement copié une marque obscure ?), et sur la souveraineté des entreprises face aux conditions opaques imposées par les fournisseurs de ces outils d’IA quant à la propriété des outputs générés.
L’enjeu n’est donc pas seulement de savoir si un nom d’IA peut être déposé – techniquement, la réponse semble souvent “oui” sous conditions – mais de comprendre comment sécuriser juridiquement cette démarche dans un paysage en mutation rapide, où la vitesse algorithmique doit rencontrer la prudence juridique.
Il s’agit d’établir une nouvelle grammaire légale pour cette “cocréation” homme-machine, où l’intervention humaine, loin d’être superflue, devient le pivot essentiel pour ancrer la création numérique dans le monde tangible du droit et du commerce. C’est à ce défi complexe, à l’intersection de l’innovation technologique, de la stratégie commerciale et de la sécurité juridique, que cet article se consacre.
Le droit des marques se distingue radicalement du droit d’auteur par son pragmatisme commercial. L’article L.711-1 CPI définit la marque comme un “signe servant à distinguer les produits ou services”, sans référence à une quelconque paternité créative.
Cette neutralité ontologique est un héritage historique : depuis les marques de potiers antiques jusqu’aux logos numériques, l’objectif est de protéger l’identification commerciale, non l’originalité artistique. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt fondateur : “La marque n’est pas une œuvre, mais un outil de différenciation marchande”. (2)
Contrairement à l’article L.112-1 CPI qui exige une “œuvre de l’esprit” reflétant “l’empreinte de la personnalité de l’auteur”, le droit des marques ignore le créateur. La CJUE (Aff. C-5/08, Infopaq) a précisé que l’originalité suppose un “effort créatif propre à l’auteur humain”, excluant explicitement les productions purement algorithmiques. (3)
Cette dichotomie crée un sas juridique pour les noms d’IA : un algorithme ne peut être “auteur”, mais son output peut devenir une “marque” si la fonction distinctive est avérée.
Bien qu’aucun arrêt français ne traite directement des marques générées par IA, la tendance est à l’agnosticisme technologique :
– Enregistrement de “DeepBrand” (généré par ChatGPT) pour des services informatiques, sans se questionner sur son origine.
– Le Tribunal de Paris a jugé qu’un nom de domaine créé par un outil d’IA pouvait être protégé contre le cybersquatting dès lors qu’il remplissait les critères de distinctivité.
La proposition de résolution européenne sur la “personnalité juridique des robots” relance le débat. Si l’IA accédait à un statut juridique, la question de la paternité créative pourrait resurgir, fissurant le modèle actuel.
– Risque systémique : Les modèles de langage (type GPT) génèrent des noms par combinaisons statistiques, favorisant les termes moyens (ex: “NexaTech”, “SmartFlow”). Ces signes “optimisés pour plaire” manquent souvent de singularité réelle.
– Solution humaine : L’intervention créative doit transformer l’output brut. Ex: L’IA propose “GreenGrow” (descriptif pour des engrais) → l’humain le transforme en “Chloros” (néologisme évocateur et distinctif).
– Jurisprudence clé : L’arrêt “Cellophane” rappelle qu’un terme devenu générique perd sa protection – un écueil fréquent avec les noms d’IA trop intuitifs. (4)
– Biais culturels : Un algorithme entraîné sur des corpus anglophones peut générer “Kurva” (insulte en slovaque) pour une marque de cosmétiques.
– Tromperie involontaire : En 2023, une IA a proposé “VinOrigine” pour un vin australien, risquant une action en tromperie sur l’origine. (5)
– Vigilance renforcée : L’analyse doit intégrer des outils de détection de biais (ex: FairLearn de Microsoft) et une revue multiculturelle manuelle.
– Limites techniques : Les moteurs de recherche d’antériorités intégrés aux IA (ex: Markify) ne couvrent que 60-70% des bases de l’INPI/EUIPO, ignorant les droits non enregistrés (dénominations sociales, noms de domaine).
– Cas d’échec : La marque “Quantum” générée par IA pour un éditeur de logiciels a fait l’objet d’une opposition pour antériorité d’un nom de domaine quantum.fr actif depuis 1998.
– Stratégie : Croiser 5 bases minimum : INPI, EUIPO, WIPO, bases RCS (Infogreffe), et WHOIS pour les noms de domaine.
– Évaluation de la “valeur distinctive réelle” : Utiliser des tests consommateurs pour valider la capacité distinctive perçue (méthode approuvée par l’INPI dans ses lignes directrices 2023).
– Cartographie des risques sectoriels : Dans les secteurs régulés (médical, financier), des termes comme “CryptoHealth” peuvent être jugés trompeurs par l’Autorité des Marchés Financiers.
– Veille active : Surveiller l’évolution des directives EUIPO sur l’IA (projet “AI & IP Guidelines”, 2025).
– Typologie des risques contractuels :
Type de CGU | Exemple | Risque Juridique
“Tous droits cédés” | Tools like Namelix | Sécurité optimale |
“Licence perpétuelle”| ChatGPT Entreprise | Risque de révocation unilatérale|
“Copropriété” | Certains outils open-source | Nécessité d’accord de l’éditeur pour
dépôt |
– Stratégie corrective : Négocier un avenant de cession de droits spécifique avant tout dépôt.
– Méthodologie en 4 couches :
– Outils IA au service de l’humain : Utiliser TrademarkNow ou CompuMark pour le screening initial, mais validation manuelle indispensable.
– Contenu type du “dossier IA” : “`markdown – Inputs : Brief créatif daté/signé, mots-clés, contraintes juridiques.
– Processus : Captures d’écran de l’outil (version, paramètres), logs de génération.
– Outputs bruts : Liste exhaustive des propositions.
– Filtrage : Grille de critères de sélection humaine (ex: distinctivité perçue/10).
– Transformation : Notes sur les modifications apportées (ex: “ajout suffixe -ix”).
– Décision : PV de réunion de validation, étude de risque juridique jointe. “`
– Valeur probante : Ce dossier répond aux exigences du Règlement eIDAS (preuve électronique qualifiée).
– Hiérarchisation des apports :
Niveau d’intervention | Valeur juridique
– Exemple probant : Dans le dépôt de “NeuroLumina” (2024), le dossier prouvait :
-Face à une opposition : Le dossier prouve la bonne foi (Art. L.712-6 CPI) et la diligence. (6)
– En cas de contestation par l’éditeur d’IA : Il démontre la prééminence de l’apport humain.
– Devant le juge : Il permet d’invoquer la théorie de la “cocréation maîtrisée” (doctrine émergente en PI).
Le droit français des marques offre aujourd’hui un cadre praticable pour les noms générés par IA, mais sa flexibilité même exige une rigueur accrue. La clé ne réside pas dans une réforme législative – l’article L.711-1 CPI est suffisamment ouvert – mais dans l’adaptation des pratiques :
Les entreprises qui intègrent ces principes transformeront un risque juridique en avantage concurrentiel : la capacité à générer des marques innovantes, tout en garantissant leur inviolabilité juridique. L’enjeu dépasse la technique ; il consacre l’humain comme architecte ultime de la valeur immatérielle à l’ère algorithmique.
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Sources :
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