USAGE D’UNE MARQUE PAR UN TIERS

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/ Mai 2021 /

À partir du moment où une marque est enregistrée, suivant la procédure du dépôt à l’INPI , le propriétaire de la marque acquiert un droit exclusif d’exploitation sur celle-ci.

En effet, les articles L. 713-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle prévoient que le titulaire de la marque dispose d’un monopole exclusif concernant l’autorisation (ou non) de reproduire, d’imiter et d’utiliser sa marque pour des produits et services désignés. Dès lors l’usage de la marque par un tiers, dans ces conditions, paraît impossible.

En réalité, si elle demeure effectivement limitée, il existe des principes en vertu desquels un tel droit exclusif est à contrebalancer, notamment face aux principes d’épuisement du droit exclusif (I) et de la spécialité de la marque déposée (II).

 

I) L’usage d’une marque par un tiers rendu possible par l’épuisement du droit exclusif

Si, par principe, la règle de l’épuisement (qui veut qu’un produit puisse circuler librement à travers les frontières des pays de l’Union européenne) vient faire tomber le droit exclusif d’exploitation accordé par le droit des marques (en somme tous les droits dont dispose le titulaire d’une marque déposée concernant notamment la vente, l’utilisation ou encore la modification des produits couverts par la marque) après sa première mise en circulation au sein d’un des États de l’Union (a), les droits du titulaire demeurent sous certaines conditions (b).


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A) La règle de l’épuisement des droits

Cette règle territoriale communautaire , issue de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (1) et aujourd’hui prévu par l’article L 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, prévoit que le droit exclusif d’exploitation du titulaire de la marque sur celle-ci cesse à partir du moment où il accorde son consentement à la première mise en circulation sur le marché de ses produits dans l’espace économique européen.

L’objectif est clair, et traduit l’idée d’un « compromis (permettant) la libre circulation des produits et des services au sein de l’Union européenne sans pour autant annihiler totalement l’exercice des droits de propriété intellectuelle (2) ».

Plus précisément, une fois que le propriétaire du bien sur lequel est apposée la marque le commercialise dans un État membre, il perd le droit de faire opposition à l’exploitation de sa marque dans tous les autres États membres.

Attention, ici la notion de consentement est au cœur des enjeux de la règle : prévue comme une balance des intérêts, la règle de « l’épuisement international » de ce droit exclusif ne joue pas dans certains cas.

Typiquement, si le produit a été fabriqué et mis en circulation par un contrefacteur, la règle de l’épuisement ne jouera pas. De même, si la fabrication et la mise en circulation ont eu lieu dans un pays hors de l’Espace économique européen, il n’y a pas d’épuisement et au moment de l’importation de ces produits l’autorisation du titulaire de la marque sera nécessaire.

Dans un arrêt du 20 décembre 2017, la CJUE a également précisé que la cession d’un droit de marque pouvait emporter l’épuisement du droit si les parties souhaitaient favoriser l’image d’une marque unique et globale et souhaitaient organiser l’utilisation et le contrôle conjoint de la marque.

B) Les atténuations de cette règle

Ceci étant, le titulaire de la marque ne voit pas l’intégralité de ses droits disparaître sous l’effet d’une telle règle : l’article précité prévoit également que « le propriétaire de la marque peut s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes tenant notamment à la modification où à l’altération des produits intervenus ultérieurement ».

C’est la notion de fonction essentielle de la marque qui transparaît à travers cette disposition. En effet, cette notion soutient que le consommateur doit pouvoir identifier les produits et services procurés par le titulaire de la marque, pour pouvoir justement les distinguer de ceux des tiers.

Dès lors, la notion de « garantie d’origine de la marque » permettra au titulaire de la marque d’empêcher la circulation desdits produits et donc, de ce fait, d’écarter les principes prévus par la règle de l’épuisement.

Cette notion est directement rattachée à la question de la responsabilité quant au produit marqué, puisque la fonction essentielle relie le produit au titulaire de la marque : il y a des cas où, bien que le produit ait été mis en circulation par le titulaire de la marque (ou avec son consentement du moins), il n’apparaît pas pertinent de le tenir responsable de celui-ci.

Prenons l’exemple des produits de luxe, nécessitant un conditionnement qui peut apparaître important aux yeux de la clientèle : puisque le conditionnement est ici grandement lié au produit (lui-même lié à la marque), si celui-ci s’avère médiocre et porte préjudice à la marque, on peut considérer que le titulaire des droits peut s’opposer à la commercialisation du produit dans ces conditions, et de fait écarter l’effet d’épuisement qui voudrait qu’il perde tout droit exclusif concernant l’exploitation des produits marqués.

C’est d’ailleurs l’idée que retient la CJCE dans son arrêt rendu en 2002 (3) sur le reconditionnement de médicaments, s’appuyant sur l’article 7 de la première directive 89/104 sur les marques pour dire que le reconditionnement ne doit pas affecter l’état d’origine du produit ou nuire à la réputation de la marque de ce produit.

Malgré les arrêts de la CJUE qui laissent à penser que le principe du reconditionnement ne doit pas affecter l’état d’origine du produit ou nuire à la réputation de la marque de ce produit, ne s’applique qu’aux produits pharmaceutiques, un arrêt du 17 mai 2018 rendu par la CJUE vient élargir la portée de ce principe. En effet, cette jurisprudence ne se limiterait donc pas qu’aux produits pharmaceutiques, mais s’appliquerait également aux dispositifs médicaux, comme l’arrêt le dispose « le titulaire d’une marque ne peut pas s’opposer à la commercialisation ultérieure, par un importateur parallèle, d’un dispositif médical dans son emballage intérieur et extérieur d’origine lorsqu’une étiquette supplémentaire, telle que celle en cause au principal, a été ajoutée par l’importateur, laquelle […] ne présente pas de risque pour la garantie de provenance du dispositif médical revêtu de la marque. »

 

II) L’usage d’une marque par un tiers rendu possible en vertu du principe de spécialité

Les notions de « vie des affaires », critère dégagé et largement débattu en jurisprudence (a) comme celles relatives aux « usages particuliers » d’une marque (b) permettent également, avec l’utilisation de certains critères, l’usage d’une marque par un tiers.

A) Le critère de la « vie des affaires »

Cette notion de « vie des affaires » est depuis longtemps admise par la jurisprudence européenne dans le cadre de l’usage d’une marque.

La CJCE, par exemple, faisait référence dans un arrêt du 12 novembre 2002 (Arrêt « Arsenal Football Club ») à l’usage reconnu d’une marque dès lors qu’elle concernait « une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé ».

La directive 2008/95/CE du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2008 reprenait par la suite cette notion au sein de son article 5, en soulignant que « le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires (de la marque enregistrée) ».

Le constat, c’est qu’en dehors de ce cadre concurrentiel, les actes sont libres : on peut par exemple utiliser la marque d’un tiers :

- à titre d’information d’actualité (l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle autorise cette utilisation « dans un but exclusif d’information immédiate » - on parle « d’exception d’actualité »),

- ou encore dans un cadre critique, comme on a pu le voir dans une campagne publicitaire antitabac utilisant un pastiche des publicités pour la marque Marlboro (CA Versailles, 1ère Ch., 17 mars 1994)

- ou lors de l’affaire Danone (la cour d’appel de Paris avait alors estimé, dans un arrêt du 30 avril 2003, que la création de sites parodiant et critiquant la marque participait seulement à l’exercice de la liberté d’expression des syndicats, « dans le respect des droits des sociétés Danone »).

Ces actes portent atteinte à la valeur de la marque, mais pas aux droits sur cette marque, car on ne se trouve plus dans la vie des affaires.

D’après l’arrêt du 30 mars 2020 rendu par la CJUE, consiste en un usage de la marque dans la vie des affaires, le fait de réceptionner, mettre en libre pratique et conserver des produits destinés à usage qui ne soit pas manifestement privé. La marque ayant été apposée sur ces produits sans le consentement du titulaire des droits, la CJUE conclut à un usage de la marque dans la vie des affaires qui porte atteinte aux droits du titulaire de la marque.

Dans un arrêt du 22 septembre 2020, la Cour d’appel de Paris ne va pas reconnaître l’usage dans la vie des affaires, pour la marque utilisée sur une page Facebook qui « ne contient pas de publicité commerciale, ni n'incite à participer à des opérations commerciales, et ne tire pas un avantage économique de son exploitation. ». De plus, la page sert de relais pour une opinion politique, c’est pourquoi la Cour d’appel ne retient pas d’usage dans la vie des affaires de la marque.

B) Les usages particuliers de la marque

Enfin, et comme indiquée précédemment, la protection de la marque ne joue que pour la spécialité et le signe déposé.

Il faut comprendre que s’en tenir à un critère de similitude « parfaite » exclut de fait des situations où des similitudes notoires entre plusieurs marques seraient susceptibles de créer un risque de confusion dans l’esprit du public, ce qui n’est pas souhaitable. La protection sera donc généralement conçue comme « élargie » pour inclure, notamment, les risques d’imitation (et pas seulement la reproduction à l’identique).

De même, le principe de spécialité sera entendu plus largement pour pouvoir inclure, selon les mêmes justifications, une utilisation de la marque protégée pour des produits « de la même famille » que les produits désignés dans le dépôt.

Néanmoins, le droit exclusif sur la marque comporte un certain nombre de limites liées à ce à quoi la marque fait référence. Par exemple, on ne peut pas empêcher un tiers d’utiliser son propre nom ou adresse comme marque, tant que cette utilisation est faite de manière loyale, de bonne foi.

Ainsi la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 20 novembre 2007 (4) que l’exploitant d’un magasin pouvait utiliser la dénomination « Lens 2 » alors que la marque avait été déposée au préalable par un centre commercial situé dans la même zone commerciale.

De même, le droit des marques ne contrevient pas à l’utilisation par un tiers de la marque pour préciser la destination d’un produit ou service qu’il offre à sa clientèle : l’article L 613-6 dispose que « l’enregistrement de la marque ne fait pas obstacle à l’emploi de cette marque comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment comme accessoire ou pièce détachée à condition qu’il n’y ait pas de confusion sur leur origine ».

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ARTICLES EN RELATION :

Sources :

(1) Notamment dans l’arrêt CJCE 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78/70, Rec., p. 487, attendu n° 11, qui limite déjà à l’époque la libre circulation « dans la limite de l’objet spécifique du droit » : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61970CJ0078
(2) https://www.village-justice.com/articles/Peut-utiliser-dans-vie-des, 17504.html
(3) https://www.doctrine.fr/d/CJUE/2002/CJUE62000CJ0143
(4) https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007626825
CJUE, 20 décembre 2017, C-291/16
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=198049&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4064788
CJUE,17 mai 2018, C-642/16
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=035627AFFE126A4E45CAC0BDCEF176D4?text=&docid=202047&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4207849
CJUE, 30 avr. 2020, C-772/18
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=225985&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4063373
Cour d’appel Paris, 22 sept. 2020, no 18/19018
https://pibd.inpi.fr/sites/default/files/2020-10/M20200179_0.pdf

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