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Copier sans tricher ? Les limites de l’imitation entre entreprises

En droit de la concurrence, la liberté du commerce implique celle d’imiter. Mais cette liberté n’est pas absolue : elle trouve sa limite dans le respect de la loyauté des pratiques.

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Tout l’enjeu consiste alors à déterminer à quel moment l’imitation devient fautive, c’est-à-dire lorsqu’elle engendre une confusion dans l’esprit du public ou traduit une volonté de tirer profit indûment du travail d’autrui.(1)

Dans des secteurs comme la mode, où la créativité repose sur un jeu constant de références, de réinterprétations et de tendances partagées, la frontière entre inspiration légitime et copie déloyale est particulièrement ténue.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision rendue par la cour d’appel de Versailles le 10 septembre 2025. Une société spécialisée dans la création de vêtements de prêt-à-porter haut de gamme reprochait à l’enseigne Mango d’avoir reproduit, dans certaines de ses collections, le motif et le style de plusieurs modèles issus de ses propres créations.

Les pièces en cause, confectionnées dans un tissu « tie and dye » rehaussé de fils de lurex, présentaient selon la société demanderesse des similitudes frappantes avec ses propres produits : une robe, une jupe et une blouse déclinées dans des teintes pastel. Estimant que Mango avait ainsi commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, elle sollicitait réparation du préjudice subi. (2)


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Le tribunal de commerce, d’abord saisi, avait rejeté la demande. La cour d’appel confirme ce jugement et rappelle avec fermeté un principe fondamental : la simple imitation ne suffit pas à caractériser la faute de concurrence déloyale. (3)

Les juges reconnaissent certes l’existence de ressemblances objectives entre les deux gammes de vêtements – tant dans les motifs que dans certaines finitions, telles que les drapés, les smocks ou le décolleté asymétrique. Cependant, ils estiment que ces éléments ne permettent pas, à eux seuls, d’établir l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

Plusieurs indices conduisent à cette conclusion. D’abord, les produits litigieux n’ont pas été commercialisés simultanément : la société demanderesse n’a donc pas pu démontrer que le public avait été confronté aux deux gammes au même moment, condition essentielle pour qu’une confusion soit envisageable.

Ensuite, les vêtements incriminés n’ont pas fait l’objet d’une mise en avant particulière et ont été proposés à la vente sur une courte période, réduisant d’autant leur visibilité sur le marché. Enfin, les juges relèvent que les caractéristiques esthétiques reprochées – notamment l’utilisation du lurex ou le motif « tie and dye » – appartiennent à des tendances de mode déjà connues, que nul ne peut s’approprier. En d’autres termes, Mango n’a pas exploité un signe distinctif ou un élément original propre à la société demanderesse, mais s’est inscrite dans un courant stylistique largement partagé.

Sur le terrain du parasitisme, la cour adopte une position tout aussi rigoureuse. Elle rappelle que la faute parasitaire suppose la démonstration de deux éléments cumulatifs : d’une part, l’existence d’une valeur économique individualisée attachée au bien ou à la création prétendument copiée ; d’autre part, la volonté de se placer dans le sillage d’autrui pour tirer profit, sans bourse délier, de ses investissements, de sa réputation ou de son savoir-faire.

Or, en l’espèce, la société demanderesse n’a pas établi que les modèles revendiqués bénéficiaient d’une notoriété ou d’une valeur propre suffisante pour constituer une telle valeur économique individualisée. Elle ne prouve pas davantage une intention de la part de Mango de capter cette valeur ou de détourner la clientèle de son concurrent.

Ainsi, ni le risque de confusion, ni la volonté parasitaire n’étant caractérisés, la cour d’appel déboute la société créatrice de l’ensemble de ses prétentions. L’arrêt illustre parfaitement

l’équilibre que le juge cherche à maintenir entre la protection de l’effort créatif et la préservation de la liberté du commerce. En matière de mode, où les sources d’inspiration se renouvellent sans cesse, il serait dangereux de considérer que toute ressemblance constitue une faute : cela reviendrait à figer la création dans un formalisme contraire à la dynamique même de ce secteur.

Cette décision rappelle donc que la ressemblance ne signifie pas nécessairement confusion, et que l’inspiration n’équivaut pas à appropriation.

L’imitation devient répréhensible uniquement lorsqu’elle dépasse le simple mimétisme pour se transformer en un comportement de nature à troubler la concurrence, soit par la confusion, soit par le détournement d’une valeur économique propre. En dehors de ces hypothèses, la liberté d’imiter reste un corollaire essentiel du libre jeu de la concurrence — un principe sans lequel la création, paradoxalement, s’étiolerait.

I – La liberté d’imiter : un principe fondamental encadré par la recherche d’une confusion effective

A – L’imitation, corollaire nécessaire du libre jeu concurrentiel

Le droit français n’interdit pas l’imitation en soi. En l’absence de droit privatif (brevet, dessin et modèle, marque), tout produit demeure librement imitable. Cette liberté découle directement du principe constitutionnel de liberté du commerce et de l’industrie, garantissant à chacun la possibilité de proposer des produits similaires à ceux déjà présents sur le marché. (4)

La jurisprudence affirme de manière constante que seule une imitation fautive, c’est-à-dire créant une confusion ou révélant une intention de nuire, est sanctionnable. À défaut, l’imitation relève de la dynamique naturelle de la concurrence.

Dans le domaine de la mode, cette tolérance est particulièrement marquée. L’industrie vestimentaire repose sur des cycles rapides de création, de tendances et de réinvention.

Les motifs, matières et coupes circulent entre les créateurs, alimentant un courant esthétique commun. Vouloir réserver à un seul acteur le droit d’utiliser une combinaison de couleurs, de tissus ou de techniques reviendrait à entraver la vitalité créative du secteur.

C’est cette logique qu’adopte la cour d’appel de Versailles. Elle admet que les vêtements litigieux présentaient certaines ressemblances – motifs, finitions smockées, drapées, décolletés asymétriques – mais considère que ces éléments s’inscrivent dans des tendances de mode connues et partagées. En d’autres termes, l’imitation ne portait pas sur un élément original et individualisé appartenant à la société demanderesse, mais sur des caractéristiques communes du marché.

La cour consacre ainsi le principe selon lequel l’inspiration issue de la mode n’est pas répréhensible tant qu’elle n’altère pas les conditions loyales de concurrence.

B – L’absence de confusion : une condition essentielle de la faute concurrentielle

La concurrence déloyale ne peut être retenue qu’à la condition qu’un risque de confusion soit établi dans l’esprit du public. (5) Ce risque suppose que le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, puisse confondre l’origine des produits ou croire à une filiation économique entre les entreprises.

Pour apprécier ce risque, les juges examinent de manière concrète plusieurs éléments :

  • L’identité visuelle des produits (formes, motifs, couleurs, présentation) ;
  • Les conditions de commercialisation (lieux de vente, public visé, période de diffusion) ;
  • La notoriété éventuelle du produit prétendument copié.

En l’espèce, la cour d’appel relève que la commercialisation non concomitante des produits rendait improbable toute confusion. Les vêtements Mango avaient été vendus à une autre saison, sans qu’ils ne soient particulièrement mis en avant. Par ailleurs, la demanderesse ne démontrait pas que ses modèles bénéficiaient d’une notoriété telle qu’ils seraient immédiatement identifiables par le public.

De plus, les juges insistent sur le caractère générique des éléments repris : l’utilisation du lurex et des teintes pastel relevait de tendances répandues dans la mode contemporaine. Le motif « tie and dye », quant à lui, était déjà largement exploité par de nombreuses marques.

En l’absence de caractère distinctif ou d’élément propre à la société demanderesse, aucune confusion ne pouvait raisonnablement être retenue. L’imitation demeurait alors dans les limites de la liberté de création et de la libre concurrence.

Cette analyse illustre le pragmatisme de la jurisprudence française, qui cherche à protéger la loyauté sans figer la créativité. Le risque de confusion reste un garde-fou essentiel : sans lui, toute ressemblance pourrait être qualifiée de faute, ouvrant la voie à une protection indue de créations non originales.

II – Le parasitisme économique : la sanction de la captation fautive de la valeur d’autrui

A – La nécessaire preuve d’une valeur économique individualisée

Le parasitisme, notion prétorienne, vise à sanctionner le comportement d’un agent économique qui se place dans le sillage d’un autre pour tirer profit, sans contrepartie, de ses efforts, de sa réputation ou de ses investissements. À la différence de la concurrence déloyale, il ne nécessite pas la preuve d’un risque de confusion, mais repose sur deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une valeur économique individualisée, fruit d’un effort propre et reconnu ;
  • La volonté de s’approprier indûment cette valeur.

Cette valeur peut résider dans un concept, une stratégie marketing, un positionnement de gamme ou encore une esthétique distinctive. Toutefois, elle doit être réelle, concrète et propre à l’entreprise qui s’en prévaut.

Dans l’affaire en cause, la société créatrice ne parvenait pas à démontrer que ses modèles bénéficiaient d’une telle valeur individualisée. Les vêtements invoqués n’avaient pas acquis de notoriété particulière ni généré d’investissement promotionnel significatif. Ils ne constituaient pas le cœur de son identité commerciale.

Dès lors, la cour estime qu’en l’absence de preuve de cette valeur spécifique, aucune captation parasitaire n’est envisageable. La création d’un tissu dans un style « tie and dye » agrémenté de lurex ne suffisait pas à ériger ces modèles en actifs économiques individualisés.

B – L’absence d’intention fautive : la consécration de la loyauté concurrentielle

Le second élément du parasitisme réside dans l’intention de se placer dans le sillage d’autrui. Le parasitisme suppose une démarche consciente de profit indu, une volonté délibérée de profiter des efforts d’un autre opérateur sans entreprendre d’investissement équivalent. (6)

La liberté du commerce et de l’industrie est une liberté publique de valeur constitutionnelle, permettant à toute personne d’entreprendre et d’exploiter un commerce dans le cadre des règles d’ordre public, en s’installant dans tout lieu de son choix non prohibé par les règlements publics.

La concurrence entre commerçants est également libre et n’est restreinte que de façon exceptionnelle par le législateur ou par des accords conventionnels dérogatoires entre acteurs économiques, autorisés par les autorités françaises ou européennes de régulation de la concurrence.

Les dommages subis par un commerçant du fait de la concurrence émanant d’un autre commerçant ne constituent pas un préjudice réparable, sauf si une faute délictuelle a été commise par ce dernier, consistant en un acte de concurrence déloyale ou une activité parasitaire traduisant un abus de cette liberté de concurrence, ce qui permet alors d’agir sur le fondement de l’article 1240 (ex1382) du Code civil.

Or, la cour d’appel souligne que rien ne permettait de déduire une telle intention chez Mango. L’enseigne n’avait pas cherché à profiter de la réputation de la société demanderesse, ni à capter sa clientèle. Elle s’était contentée de suivre une tendance commune à l’ensemble du secteur, ce qui relève de la logique concurrentielle normale.

Les juges insistent sur la conjoncture stylistique : le style incriminé correspondait à une mode partagée, à laquelle plusieurs acteurs du marché participaient simultanément. Dans ce contexte, parler d’intention parasitaire reviendrait à interdire toute réappropriation créative d’un courant esthétique, ce qui serait contraire au principe même de liberté artistique et économique.

Cette approche prudente du juge préserve le juste équilibre entre la protection et la liberté. Le droit ne vise pas à interdire la concurrence, mais à garantir qu’elle s’exerce loyalement. L’absence d’intention fautive traduit ici la reconnaissance d’une concurrence saine, où l’imitation reste un moteur d’innovation et de renouvellement.

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Sources :

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