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ChatGPT (ou plus largement une IA générative) peut-il être accusé de diffamation en cas de fausses informations ?

La question de la responsabilité juridique des intelligences artificielles génératives (comme ChatGPT) est aujourd’hui au cœur des débats dans les sphères technologiques, juridiques et éthiques.

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L’un des points les plus délicats est le risque de diffusion de fausses informations — parfois appelées « hallucinations » — qui peuvent porter atteinte à la réputation d’une personne ou d’une entité. Dans ce contexte se pose la question : une IA peut-elle être accusée de diffamation ? Et si oui, selon quelles conditions ?

Plusieurs cas récents illustrent la complexité de la question. Par exemple, un utilisateur de ChatGPT a allégué que le système l’avait faussement accusé de meurtres d’enfants, provoquant une plainte contre OpenAI. (1)  De même, l’ONG NOYB a déposé plainte auprès de l’autorité de protection des données norvégienne en alléguant que ChatGPT avait diffamé un citoyen norvégien en affirmant, sans fondement, qu’il avait tué deux de ses enfants. (2)

Ces événements soulèvent des interrogations fondamentales :

Qui peut être tenu pour responsable d’une déclaration diffamatoire générée par une IA : l’IA elle-même, son éditeur, son opérateur, l’utilisateur qui a formulé la requête, ou d’autres acteurs ?

Dans quels cadres juridiques (responsabilité civile, responsabilité du fait des produits, droit de la presse / diffamation) ces actions pourraient-elles être intentées ?


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Quelles sont les limites actuelles ou les obstacles pratiques pour que ces actions aboutissent ?

Sur le plan doctrinal et légal, les règles traditionnelles de la diffamation exigent généralement qu’il y ait une affirmation fausse, imputable à un auteur (humain ou personne morale), et un préjudice à la réputation, souvent accompagnée de la preuve d’une faute (ou dans certains cas d’une « actual malice », c’est-à-dire la conscience de l’erreur). Mais une IA, en tant que « système algorithme », ne s’inscrit pas aisément dans ces catégories classiques.

Les textes en cours d’élaboration, tels que l’AI Act (proposition de règlement européen pour l’intelligence artificielle), cherchent à encadrer la responsabilité et les obligations des acteurs de l’IA, notamment en matière de transparence, de fiabilité, d’obligation de documentation, de sécurité et de réparation. (3) Toutefois, à ce jour, il n’existe pas (dans la plupart des juridictions) de cadre juridique express qui attribue automatiquement à une IA la capacité d’être sujette d’une action en diffamation.

Par conséquent, pour savoir si une action en diffamation peut « tenir » lorsqu’il s’agit de fausses affirmations générées par ChatGPT, il est nécessaire de disséquer les fondements juridiques possibles, les obstacles pratiques, ainsi que les jurisprudences émergentes.

I. Conditions et difficultés juridiques pour qualifier une déclaration d’IA en diffamation

A) Les éléments traditionnels de la diffamation : affirmation, faute, imputabilité, préjudice

Pour engager une action en diffamation (dans les systèmes de droit civil comme en France, ou common law selon les pays), plusieurs conditions doivent généralement être remplies :

  • Une affirmation ou imputation d’un fait précis : il faut que le propos soit identifiable comme alléguant un fait (et non une simple opinion) qui peut être vrai ou faux. Si l’IA affirme quelque chose de faux — par exemple « X a été condamné pour corruption » — cela pourrait constituer une imputation de fait erronée.
  • La fausseté / l’inexactitude : l’imputation doit être fausse (ou au moins non prouvée). Si l’IA se trompe ou hallucine, cet élément peut être présent.
  • La faute de l’auteur : dans la plupart des systèmes, il faut prouver qu’il y a eu négligence, imprudence ou mauvaise foi de l’auteur de l’imputation. Cela pose un défi quand l’auteur est une IA, car on doit identifier une « faute » de la part de l’éditeur, de l’opérateur ou du concepteur, avec une norme de soin (standard de prudence) applicable.
  • L’imputabilité / la personne responsable : une IA n’est pas une personne juridique (dans la plupart des régimes juridiques). L’action doit donc viser un agent humain ou une personne morale (par exemple OpenAI, l’éditeur, l’hébergeur). Il faut donc rattacher la déclaration fautive à un responsable.
  • Le préjudice / l’atteinte à la réputation : la personne visée doit démontrer que sa réputation a été atteinte — perte d’honneur, de crédit, de considération — et que cela lui a causé un dommage (par exemple moral, financier).
  • Lien de causalité : il faut prouver que l’imputation fautive par l’IA a causé ce préjudice, et qu’il n’y a pas d’autres causes exclusives.

Or, dans le cas d’une IA, certains de ces éléments sont particulièrement difficiles à établir :

la faute : quel standard appliquer au concepteur d’IA ? S’est-il abstenu des précautions raisonnables pour éviter les « hallucinations » ?

l’imputabilité : comment rattacher la sortie de l’IA à un acteur humain ou une personne morale, surtout si des tiers ou l’utilisateur interviennent dans la requête ou le filtrage du contenu ?

le lien de causalité : souvent, les utilisateurs ou d’autres plateformes peuvent avoir diffusé ou amplifié la déclaration.

  • la preuve du préjudice : il peut être délicat de chiffrer ou de prouver que la réputation est atteinte spécifiquement à cause de la version IA et non d’autres sources.

En droit français, la procédure de la diffamation impose un formalisme, des délais de mise en demeure, des preuves strictes, etc. Il faudrait voir comment ces contraintes pourraient être adaptées pour une IA.

B) Obstacles pratiques, jurisprudences émergentes et limites

Malgré les conditions théoriques, plusieurs obstacles réels freinent les actions de diffamation à l’encontre de systèmes d’IA :

  • Absence de statut juridique autonome pour l’IA

Les systèmes d’IA ne sont pas juridiquement des personnes. Ils ne peuvent pas être poursuivis en tant que tels dans la plupart des régimes. Les actions doivent viser les éditeurs, exploitants, distributeurs, ou utilisateurs concernés. Cette absence de « personnalité juridique automatique » rend plus complexe la mise en œuvre. (4)

  • Décisions judiciaires récentes
  • Aux États-Unis (État de Géorgie), une cour a rejeté une action en diffamation contre OpenAI intentée par un animateur de radio, qui soutenait que ChatGPT avait inventé des allégations diffamatoires à son encontre. La cour a statué qu’il n’y avait pas assez de preuve d’une faute ou d’un dommage réparable, et a notamment considéré que le propriétaire d’une IA ne peut pas être tenu responsable comme un auteur traditionnel. (5)
  • Le cas Walters v. OpenAI a été particulièrement observé :

La cour a rejeté la demande de diffamation, estimant que l’argument selon lequel « déployer une IA faillible » constitue une négligence ne tenait pas. (6)

  • Toutefois, la cour a précisé que cette décision ne crée pas une immunité générale pour les IA génératives : la décision repose sur le contexte, l’absence de faute démontrée, l’impossibilité de prouver un dommage suffisant, etc. (7)
  • En Australie, à Hepburn Shire, un maire avait intenté une action en diffamation contre OpenAI après que ChatGPT l’ait faussement présenté comme emprisonné pour corruption. L’action a été abandonnée pour motifs pratiques (coûts, etc.), mais elle est souvent citée comme un cas de test juridique dans le domaine. (8)
  • Par ailleurs, dans la sphère européenne, l’ONG NOYB a déposé plainte pour diffamation (et atteinte aux droits de la personne) à l’égard d’OpenAI du fait d’une affirmation imputant à tort à un citoyen norvégien le meurtre de ses enfants. Cette plainte est fondée en partie sur le droit à la réputation et les obligations liées aux données personnelles.
  • Enfin, un exemple médiatisé : ChatGPT avait fabriqué un faux meurtrier d’enfants — un cas d’« hallucination » sévère — suscitant des préoccupations quant à la diffusion de tels contenus. (9)
  • Limites de preuve et arguments de défense
  • L’éditeur d’IA peut défendre qu’il a mis en place des mesures raisonnables de contrôle, de modération, de filtrage pour limiter les contenus erronés.
  • Il peut aussi invoquer des clauses de non-responsabilité, des avertissements indiquant que l’IA peut se tromper, des incitations à vérifier les sources, etc.
  • Si l’utilisateur a réutilisé ou amplifié la déclaration, la responsabilité peut être partagée ou même imputée à l’utilisateur.
  • Le coût des procédures, la difficulté de prouver le dommage ou la faute, l’incertitude juridique dissuadent souvent les actions.
  • Cadres de responsabilité alternatifs

En l’absence d’un régime express, on peut envisager de s’appuyer sur :

  • la responsabilité civile délictuelle ou quasi-délictuelle, notamment pour les dommages causés par des faits illicites ;
  • le régime de la responsabilité du fait des produits (lorsqu’un produit est défectueux), dans les juridictions qui l’admettent ; certains auteurs suggèrent que l’IA pourrait être considérée comme un « produit logiciel », mais cette qualification est encore débattue. (10)
  • les normes spécifiques proposées ou à venir (règlement IA, obligations de transparence, certification, documentation de la chaîne de décision) qui pourraient imposer des obligations de diligence renforcées aux opérateurs d’IA.

Bien que les conditions théoriques de la diffamation puissent être conceptualisées à l’égard d’une IA, en pratique, de nombreux obstacles (imputabilité, faute, preuve, coût, absence de statut juridique) rendent difficiles les actions réussies à ce jour.

II. Scénarios pratiques, évolutions possibles et recommandations

A) Scénarios concrets et stratégies de recours

  • Action directe contre l’éditeur ou exploitant de l’IA

C’est la voie la plus logique en l’état : on vise OpenAI (ou le fournisseur de l’IA), en soutenant qu’il y a eu une faute dans la conception, la supervision, le filtrage ou la mise en service du système, et que cette faute a permis la diffusion d’une déclaration diffamatoire. C’est ce que la plainte australienne et certaines procédures envisagent.

  • Action contre l’utilisateur ou le diffuseur final

Si un utilisateur a copié ou reproduit la déclaration erronée générée par l’IA sur un site, un réseau social, un journal, etc., on peut l’attaquer pour diffusion d’un contenu diffamatoire. Dans ce cas, l’IA est plutôt un « point de départ » qu’un auteur principal. La responsabilité peut être partagée entre l’IA et l’utilisateur final.

  • Recours en droit de la presse / diffusion de contenu en ligne

Si la déclaration est diffusée massivement (site web, médias), on peut combiner les mécanismes classiques de la diffamation en ligne notices de retrait, injonctions, dommages et intérêts avec les arguments liés à l’origine IA.

  • Actions en rectification ou droit de réponse

Une voie complémentaire consiste à exiger la publication d’une rectification ou d’une mise au point (par exemple à l’encontre de la plateforme qui a diffusé l’IA ou du service web) pour limiter l’étendue du préjudice.

  • Plaintes auprès des autorités de protection des données (RGPD, Cnil, etc.)

En Europe, le RGPD impose que les données personnelles soient exactes, à jour, pertinentes et, le cas échéant, corrigées. Si l’IA publie des données personnelles diffamatoires, on peut invoquer des manquements au principe d’exactitude, et intégrer la dimension réputationnelle via une plainte auprès des autorités. C’est le cas de la plainte de NOYB en Norvège.

  • Médiation ou règlement extrajudiciaire

Vu la complexité judiciaire, les parties peuvent recourir à la médiation, la conciliation, ou des procédures de règlement amiable avec l’éditeur d’IA.

B) Évolutions législatives, défis et recommandations

  • Cadres législatifs en projet (AI Act, etc.)

Le projet de règlement européen sur l’IA (AI Act) envisage d’imposer aux systèmes d’IA à « haut risque » certaines exigences en matière de documentation, traçabilité, transparence et exigences de robustesse. Ces obligations pourraient renforcer la possibilité de rattacher juridiquement les sorties d’IA à un acteur responsable.

La proposition comporte aussi des mécanismes de supervision et de responsabilité que les États membres devront mettre en œuvre, ce qui pourrait servir d’assise à des actions en réparation pour contenus fautifs.

  • Personnalité juridique de l’IA ?

Certains auteurs débattent de la création d’une personnalité juridique spécialisée pour des systèmes d’IA ou d’un régime de responsabilité autonome (par analogie aux personnes morales, trusts ou entités hybrides). Mais cette approche pose d’énormes défis : qui paie les dommages, comment garantir les droits de la défense, etc.

  • Standard de diligence, audits, certification, obligations de vigilance

Pour rendre l’IA plus fiable, on peut imposer aux concepteurs et opérateurs des audits réguliers, des tests de robustesse, des filtres de vérification factuelle, des mécanismes de signalement d’erreurs, et des obligations de transparence (par exemple : expliquer comment l’IA génère ses réponses, quelles sources elle a utilisées). Ces mesures peuvent aider à caractériser une faute ou à prévenir les détournements.

  • Coopération entre acteurs (utilisateurs, plateformes, éditeurs)

Une approche pragmatique consiste à faire coopérer les plates-formes qui intègrent l’IA (par exemple des sites web, des journaux) avec les éditeurs d’IA pour instaurer des protocoles de modération, de vérification humaine, ou des systèmes de retour utilisateur (feedback) sur les erreurs. Cela répartit la responsabilité et réduit les risques.

  • Sensibilisation, mentions, avertissements

Il est crucial que les utilisateurs soient clairement informés que l’IA peut se tromper, que les résultats doivent être vérifiés, et que l’éditeur d’IA s’efforce de corriger les erreurs. Ces avertissements peuvent jouer un rôle dans la défense juridique du concepteur de l’IA.

  • Jurisprudence et précédents progressifs

Le droit va probablement évoluer par étapes, à mesure que les cours arbitreront des cas concrets. Chaque décision qu’elle condamne ou relaxe créera un précédent et affinera les exigences (faute, diligence, seuil du dommage). Le cas Walter v. OpenAI, même s’il s’est soldé par un rejet, est instructif quant à l’approche des tribunaux.

  • Assurance et fonds de garantie

Les opérateurs d’IA pourraient être amenés à souscrire des assurances responsabilité civile technologiques couvrant les risques de diffusion de contenus erronés ou diffamatoires. Des fonds de garantie ou des mécanismes de mutualisation des risques pourraient émerger.

Pour lire u e version plus courte de cet article sur l’IA et la diffamation, cliquez ici

Sources :

  1. Blog – ChatGPT accusé de diffamation : quand l’IA invente des meurtres d’enfants
  2. L’ONG NOYB attaque OpenAI pour diffamation envers un citoyen norvégien, présenté à tort comme ayant tué deux de ses enfants
  3. (4/4) IA génératives et création : “ChatGPT : quels enjeux d’éthique ?” | Sorbonne TV
  4. Qui est responsable lorsque l’IA tourne mal ? – Communication de l’ACM
  5. Un tribunal de Géorgie rejette une plainte en diffamation contre OpenAI : une victoire pour les développeurs d’IA et une clarté juridique dans la défense contre la diffamation
  6. Walters v. OpenAI : un verdict qui change la donne et qui remodèle l’avenir de l’IA, de la diffamation et de la technologie, Erick Robinson
  7. ChatGPT peut-il être accusé de diffamation s’il affirme quelque chose de faux à votre sujet ? Regard croisé entre la jurisprudence américaine et le droit français de la presse. Raphaël Molina, Avocat.
  8. Diffamation générée par l’IA : risques juridiques et affaires de responsabilité
  9. Hallucinations de l’IA : ChatGPT a créé un faux meurtrier d’enfants
  10. Intelligence artificielle – Vers une responsabilité civile « présumée » ?

Cet article a été rédigé pour offrir des informations utiles, des conseils juridiques pour une utilisation personnelle, ou professionnelle. Il est mis à jour régulièrement, dans la mesure du possible, les lois évoluant régulièrement. Le cabinet ne peut donc être responsable de toute péremption ou de toute erreur juridique dans les articles du site. Mais chaque cas est unique. Si vous avez une question précise à poser au cabinet d’avocats, dont vous ne trouvez pas la réponse sur le site, vous pouvez nous téléphoner au 01 43 37 75 63.

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