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Quand le droit à l’oubli l’emporte sur la presse : la justice ordonne la suppression d’un article en ligne

Depuis plusieurs années, les juridictions françaises et européennes sont confrontées à une question essentielle : comment concilier la liberté de la presse avec le droit à l’oubli et la protection des données personnelles ?

Pour faire supprimer un contenu qui bafoue vos droits, utilisez le service mis en place par le cabinet Murielle-Isabelle CAHEN.

  • La liberté d’expression et d’information est garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) (1)
  • Elle est également protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (2)

En parallèle, le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles est affirmé par :

  • L’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée) :
  • Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), notamment ses articles 4, 10, 17 et 21 :

C’est dans ce contexte que s’inscrit une décision importante du Tribunal judiciaire de Paris (17ᵉ chambre civile – presse), rendue le 10 septembre 2025, dans l’affaire opposant [O] [W] – un homme d’affaires surnommé « baron de la bourse » – à la société éditrice du journal La Tribune (https://www.latribune.fr). (3)


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En 2016, La Tribune publie un article intitulé :

« HiMedia : le camp [B] lâche des boules puantes contre [O] [W] », accessible en ligne et toujours référencé sur Google.

L’article évoque un conflit entre actionnaires au sein de la société HiMedia (aujourd’hui AdUX). Mais surtout, il mentionne une condamnation pénale prononcée en 2011 contre [O] [W] pour publicité mensongère, dans le cadre de la société INFOLINE.

Or, cette condamnation a été réhabilitée de plein droit en 2021, conformément aux articles 133-11 à 133-16 du Code pénal (4)

[O] [W] demande la suppression ou modification de l’article, invoquant :

  • Son droit à l’oubli, reconnu par la jurisprudence CJUE, Google Spain (2014) (5)
  • La protection des données pénales sensibles (art. 10 RGPD) ;
  • Sa réhabilitation, qui efface les effets de la condamnation pénale.

Le journal refuse, invoquant :

  • La liberté de la presse (article 10 CEDH) ;
  • Le droit du public à être informé sur une figure influente de la finance française ;
  • Le rôle des archives journalistiques, protégées par la jurisprudence CEDH Hurbain c. Belgique (2023) :

Enjeu juridique majeur : la mise en balance

Le tribunal devait donc arbitrer entre :

✔ La protection des données personnelles et le droit à l’oubli, y compris après réhabilitation ;

La liberté d’expression journalistique et le maintien des archives de presse.

Pour cela, il applique les critères dégagés par la CEDH dans l’arrêt Hurbain (2023) sur l’altération d’archives de presse, ainsi que l’article 17 RGPD relatif à l’effacement des données personnelles.

Issue de la décision :

  • Pas de suppression totale de l’article ;
  • Mais suppression des passages mentionnant la condamnation de 2011, jugés désormais disproportionnés et sans intérêt public actuel.

Délai d’exécution : 15 jours après que le jugement devienne définitif.

I – Le cadre juridique applicable

A – Droit à l’oubli, protection des données personnelles et réhabilitation pénale

Le droit à l’oubli découle du droit à la protection des données personnelles et du respect de la vie privée.

  • Fondements européens :
  • Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée)
  • Article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (protection des données personnelles)
  • Règlement général sur la protection des données (RGPD) :
  • Le RGPD consacre le droit à l’effacement (article 17), dit droit à l’oubli, permettant à une personne d’obtenir la suppression de données la concernant, lorsque leur maintien porte atteinte à ses droits fondamentaux.
  • Les données relatives aux condamnations pénales sont protégées de manière renforcée (article 10 RGPD).

Reconnaissance jurisprudentielle du droit à l’oubli : arrêt Google Spain (CJUE, 2014)

Cet arrêt impose à Google de déréférencer certains résultats lorsqu’ils sont obsolètes, inexacts ou attentatoires aux droits de la personne, même si les contenus restent accessibles sur le site source.

  • Réhabilitation pénale en droit français :
  • Articles 133-11 à 133-16 du Code pénal
  • La réhabilitation efface les effets juridiques d’une condamnation (exclusion, incapacités, casier judiciaire).
  • Elle ne supprime pas automatiquement la possibilité pour la presse de mentionner cette condamnation, mais elle renforce le droit de la personne à ne plus être indéfiniment associée à celle-ci.
  • Position de la CNIL (France) : les données pénales anciennes doivent être diffusées uniquement si un intérêt public actuel le justifie. (6)

B – Liberté de la presse, droit du public à l’information et valeur des archives journalistiques

  • Fondements de la liberté d’expression :
  • Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
  • Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression et d’information)
  • Valeur démocratique de l’information et rôle de la presse :

La presse doit pouvoir informer librement sur les faits d’actualité, les personnes influentes, les affaires économiques ou judiciaires, dès lors que cela répond à un intérêt légitime du public.

  • Protection des archives journalistiques :

La jurisprudence considère que les archives de presse constituent une mémoire historique et ne doivent être modifiées qu’exceptionnellement.

  • Arrêt CEDH, Hurbain c. Belgique, 4 juillet 2023

La Cour admet que l’on puisse imposer l’anonymisation d’un article ancien, mais uniquement si :

  • L’information n’a plus d’intérêt public,
  • elle porte gravement atteinte à la réputation de la personne,
  • et aucune autre solution moins intrusive n’est possible.
  • Principe d’équilibre entre droits fondamentaux :

Le juge doit constamment mettre en balance :

  • la liberté de la presse et le droit du public à être informé ;
  • avec le droit à la vie privée, la protection des données et la réhabilitation.

Cet équilibre est au cœur de la jurisprudence de la CEDH (articles 8 et 10) et du RGPD (article 17 §3).

II – Application au cas de La Tribune / [O] [W]

A – Arguments des parties et mise en balance des droits

Position du demandeur ([O] [W])

[O] [W], homme d’affaires, conteste la présence dans un article de La Tribune (publié en 2016) d’une mention concernant sa condamnation pénale de 2011. Il invoque :

  • Droit à l’oubli et protection des données personnelles :
  • Article 17 du RGPD (droit à l’effacement)
  • Article 8 CEDH (vie privée)
  • Réhabilitation pénale acquise en 2021 :
  • Articles 133-11 à 133-16 du Code pénal

Selon lui, cette réhabilitation efface juridiquement la condamnation, rendant injustifié son maintien dans l’article.

  • Absence d’intérêt actuel pour le public :
  • Les faits remontent à plus de 14 ans.
  • L’article apparaît encore dans les résultats de recherche Google lorsqu’on tape son nom.
  • Position de La Tribune

La rédaction de La Tribune refuse toute suppression totale de l’article et invoque :

  • Liberté de la presse et d’informer :
  • Article 10 CEDH
  • Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme
  • Intérêt du public à connaître les antécédents d’un acteur économique influent, surtout dans un conflit d’actionnaires (affaire HiMedia/AdUX)
  • Protection des archives journalistiques :
  • Jurisprudence CEDH, Hurbain c. Belgique, 2023

Ils soutiennent que modifier des archives ne peut être qu’exceptionnel.

Mise en balance par le tribunal

Le Tribunal judiciaire de Paris suit la méthode imposée par la CEDH (arrêt Hurbain) :

Éléments examinés

 

Appréciation du tribunal

 

Ancienneté des faits

 

Condamnation de 2011, article de 2016 : ancienneté importante.

 

Réhabilitation

 

Effet juridique réel : la société ne doit plus l’associer indéfiniment à cette condamnation.

 

Notoriété du demandeur

 

Personnalité du monde financier, mais pas figure politique nationale.

 

Intérêt public actuel

 

 

Conflit HiMedia n’est plus d’actualité en 2025.

 

 

Préjudice potentiel

 

La mention est accessible via Google → atteinte durable à sa réputation.

 

 

Conclusion : l’information peut rester dans les archives, mais les passages relatifs à la condamnation doivent être retirés.

B – Solution retenue par le tribunal et portée juridique

Décision du Tribunal judiciaire de Paris (10 septembre 2025)

  • Pas de suppression intégrale de l’article, car cela porterait une atteinte excessive à la liberté de la presse.
  • Obligation pour La Tribune de retirer ou anonymiser les passages évoquant la condamnation pénale de 2011.
  • Délai : 15 jours après le caractère définitif du jugement.
  • Pas d’atteinte à l’intégrité des archives sur les faits économiques eux-mêmes (affaire HiMedia/AdUX).

Justification juridique

Cette décision repose sur :

  • Article 17 §3 RGPD : l’effacement ne s’applique pas lorsque la conservation est nécessaire à la liberté d’information.
  • Arrêt Hurbain c. Belgique (CEDH, 2023) : modification ciblée légitime si l’information ancienne porte atteinte à une personne réhabilitée.

Réhabilitation pénale est le droit à ne plus être associé publiquement à des faits effacés juridiquement.

Portée et conséquences

  • Pour la presse :
  • Les archives restent protégées.
  • Mais une modification ciblée est possible en cas de condamnation ancienne et réhabilitée.
  • Pour les personnes condamnées puis réhabilitées :
  • Elles peuvent obtenir la suppression partielle d’archives si la mention devient disproportionnée.
  • Ce droit n’efface pas l’histoire, mais limite sa diffusion nuisible.
  • Pour l’équilibre des droits fondamentaux :
  • Nouvelle illustration d’une conciliation entre article 10 CEDH (liberté de la presse) et article 8 CEDH (vie privée).
  • Confirmation de la jurisprudence européenne et française en matière de droit à l’oubli “nuancé”.

Pour lire un article plus court sur le droit à l’oubli et la presse, cliquez

Sources :

  1. Loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985 – Légifrance
  2. European Convention on Human Rights
  3. Tribunal Judiciaire de Paris, 17e chambre presse civile, 10 septembre 2025, n° 24/01823 | Doctrine
  4. Section 3 : De l’amnistie (Articles 133-9 à 133-11) – Légifrance/ Section 4 : De la réhabilitation (Articles 133-12 à 133-17) – Légifrance
  5. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=152065&doclang=FR
  6. Article 10 RGPD : tout savoir sur les données pénales

Cet article a été rédigé pour offrir des informations utiles, des conseils juridiques pour une utilisation personnelle, ou professionnelle. Il est mis à jour régulièrement, dans la mesure du possible, les lois évoluant régulièrement. Le cabinet ne peut donc être responsable de toute péremption ou de toute erreur juridique dans les articles du site. Mais chaque cas est unique. Si vous avez une question précise à poser au cabinet d’avocats, dont vous ne trouvez pas la réponse sur le site, vous pouvez nous téléphoner au 01 43 37 75 63.

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