La dialectique entre la protection des données personnelles et les libertés fondamentales constitue l’un des enjeux épistémologiques les plus saillants du droit numérique contemporain.
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À l’ère d’une hypermnésie digitale, où l’archivage pérenne des informations interroge les frontières de la vie privée, le législateur et le juge sont confrontés à un équilibre délicat : concilier le droit à l’effacement, pierre angulaire du Règlement général sur la Protection des Données (RGPD), avec les impératifs de liberté d’expression et de droit à l’information, piliers des démocraties libérales.
Cette tension normative, cristallisée par des contentieux récurrents, a récemment trouvé une résolution jurisprudentielle emblématique dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 20 février 2025. (1) En l’espèce, un ancien dirigeant d’une institution sportive, condamné initialement en 2009 pour des infractions financières avant une partiale réformation en appel, exerçait son droit à l’oubli contre un organe de presse ayant relayé sa condamnation.
Réputation, fondée sur les articles 17 et 21 du RGPD, visait à obtenir le déréférencement ou l’anonymisation d’un article en ligne, au motif de son impact préjudiciable sur sa réputation. Le journal, en réaction, avait actualisé la publication pour mentionner l’évolution procédurale, sans pour autant consentir à son retrait.
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La juridiction parisienne, saisie de ce litige, a opéré une balance des intérêts méticuleuse, privilégiant in fine la primauté de la liberté d’expression sur les revendications mémorielles du demandeur.
Cette décision, riche en enseignements, invite à une réflexion systémique sur les fondements théoriques et les implications pratiques du droit à l’oubli lorsqu’il entre en collision avec des enjeux d’intérêt public. Elle interroge, d’une part, la proportionnalité des mesures sollicitées au regard de la finalité informative, et d’autre part, la qualité de la personne concernée comme critère déterminant dans l’appréciation des exceptions au RGPD.
En outre, elle soulève une question essentielle : dans quelle mesure le droit à l’effacement peut-il coexister avec la mission historique de la presse, gardienne de la transparence démocratique ? À travers cette analyse, il s’agira de démontrer comment la jurisprudence, en se faisant l’écho des valeurs constitutionnelles et conventionnelles, dessine les contours d’un équilibre dynamique entre mémoire numérique et liberté de la presse, tout en réaffirmant le rôle cardinal du juge dans l’interprétation téléologique des normes.
Le Règlement général sur la Protection des Données (RGPD), tout en consacrant un droit à l’effacement des données personnelles (article 17), prévoit des dérogations substantielles lorsque le traitement des données est nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression et d’information (article 17, alinéa 3).
Ces exceptions s’inscrivent dans une logique téléologique : protéger les valeurs démocratiques inhérentes à la transparence médiatique. Ainsi, le législateur européen a reconnu que le droit à l’oubli ne saurait prévaloir sur la préservation d’un débat public éclairé, notamment lorsque les informations concernent des personnalités publiques ou des faits d’intérêt général.
Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Paris a rappelé que le maintien de l’article litigieux répondait à un « motif légitime et impérieux » au sens du RGPD, en l’occurrence l’information des citoyens sur des condamnations pénales liées à l’exercice de fonctions publiques.
Cette interprétation s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui, dans l’affaire Google Spain (2014), avait déjà souligné que le droit à la vie privée devait céder face à l’intérêt prépondérant du public à accéder à des informations pertinentes. (2)
La liberté d’expression, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) et l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), constitue un pilier intangible des démocraties libérales.
La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a constamment affirmé que cette liberté vaut non seulement pour les informations « favorables » ou neutres, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside c. Royaume-Uni, 1976). (3)
Dans le contexte numérique, cette protection s’étend aux archives en ligne des médias, considérées comme des « biens communs informationnels ». La cour d’appel de Paris a ainsi invoqué l’article 10 CEDH pour rejeter l’anonymisation de l’article, jugeant que le nom du condamné était un « élément essentiel de l’information ». Cette approche reflète une vision holistique de la liberté de la presse, où l’identification des acteurs publics est nécessaire à la crédibilité et à la contextualisation du récit journalistique.
Le juge, face à un conflit entre droit à l’oubli et liberté d’expression, doit opérer une balance des intérêts fondée sur une analyse contextuelle et proportionnelle. Cette démarche, inspirée du principe de proportionnalité issu du droit européen, exige une évaluation minutieuse des circonstances de l’espèce.
Dans l’affaire de 2025, la cour a examiné plusieurs critères :
– La gravité des infractions initiales : Les délits financiers (complicité d’abus de confiance, recel, abus de biens sociaux) ont été qualifiés de « graves » et « en rapport direct avec les fonctions » du requérant, justifiant leur persistance dans l’espace public.
L’information de l’information : La cour a relevé que le « souhait du monde sportif de rendre celui-ci “propre” » maintenait une actualité juridique et sociale des faits, malgré leur ancienneté.
– Les mises à jour effectuées par le journal : L’ajout de la mention de la décision d’appel a été considéré comme une preuve de bonne foi et de respect de l’exigence d’exactitude (article 5 RGPD).
La jurisprudence a progressivement formalisé une grille d’analyse pour les conflits entre RGPD et liberté d’expression :
– Le statut public du requérant : Les personnalités exerçant des fonctions d’influence (politiques, sportives, médiatiques) voient leur droit à l’oubli restreint, car leur vie professionnelle relève de l’intérêt général (CEDH, Axel Springer c. Allemagne, 2012). (4)
– La nature des données : Les informations relatives à des condamnations pénales, surtout pour des infractions graves, sont protégées plus faiblement que les données sensibles ou intimes.
– L’impact sur la démocratie : La cour a souligné que l’accessibilité des condamnations de personnalités publiques est « fonction de leur importance » pour le débat citoyen, renforçant ainsi le devoir de mémoire collective.
La cour a retenu que le requérant, en tant qu’ancien président d’un « club sportif notoire », était une « personnalité officielle » dont les agissements passés conservent une pertinence pour l’actualité. Cette qualification s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence Google Spain, où la CJUE avait distingué les particuliers anonymes des figures publiques.
Le raisonnement repose sur une présomption d’intérêt légitime du public : les citoyens sont en droit de connaître les antécédents judiciaires de personnes susceptibles de retrouver des responsabilités. Cette logique prévaut même lorsque la condamnation a été partiellement infirmée, dès lors que les faits résiduels restent significatifs.
Les lignes directrices de la CNIL (2023) précisent que le « légitime intérêt du public » doit être apprécié en fonction de :
– La fonction actuelle ou passée de la personne concernée.
– La corrélation entre les faits rapportés et l’exercice de cette fonction.
– Le potentiel de récidive ou de reconstitution d’une influence publique.
Dans l’arrêt de 2025, la cour a estimé que le requérant, en raison de son rôle historique dans le sport et de ses éventuelles ambitions futures, ne pouvait invoquer un droit à l’effacement absolu. Cette position rejoint celle de la CEDH dans Von Hannover c. Allemagne (n° 2) (2012), où il avait été jugé que les personnes médiatisées doivent tolérer une plus grande intrusion dans leur vie privée.
Si la cour a validé le maintien de l’article, elle a salué la mise à jour effectuée par 20 Minutes mentionnant la réforme partielle de la condamnation. Cette obligation de mise à jour, implicite dans le RGPD (article 5, alinéa 1d), vise à éviter la diffusion d’informations périmées ou trompeuses. Les médias doivent ainsi :
– Corriger les erreurs factuelles sous peine de responsabilité pour diffamation.
– Contextualiser les informations anciennes (ex. : préciser qu’une condamnation a été atténuée en appel).
– Éviter les amalgames entre des faits juridiquement distincts.
La cour a rejeté la demande d’effacement au motif que le requérant n’avait pas démontré un préjudice « disproportionné » causé par la persistance de l’article. Cette exigence renvoie à deux principes clés :
– La charge de la preuve incombe au demandeur (article 12 RGPD), qui doit établir un lien causal entre la publication et un dommage concret (atteinte à l’emploi, réputation, etc.).
– La proportionnalité in dubio pro libertate : En cas de doute, le juge doit privilégier la liberté d’expression, conformément à la maxime « in dubio pro libertate ». Cette approche limite les risques d’instrumentalisation du RGPD pour censurer des contenus légitimes, tout en protégeant les médias contre les demandes abusives.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 février 2025 illustre la complexité des arbitrages entre mémoire numérique et liberté d’expression. En systématisant une méthodologie fondée sur la proportionnalité et le statut public, il offre un cadre prévisible pour les futurs litiges, tout en rappelant que le droit à l’oubli ne peut servir à réécrire l’histoire. Cependant, cette jurisprudence soulève des questions non résolues :
– La définition fluctuante de « personnalité publique » : Faut-il inclure les influenceurs ou les chefs d’entreprise ?
– La temporalité de l’intérêt public : Combien de temps une condamnation reste-t-elle d’actualité ? À l’heure où l’intelligence artificielle et les algorithmes de référencement complexifient la gestion des données, le dialogue entre juges nationaux, législateurs européens et plateformes techniques sera crucial pour préserver cet équilibre fragile.
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Sources :
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