LA DIFFAMATION ENVERS UN FONCTIONNAIRE OU ENTRE FONCTIONNAIRE

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/ Janvier 2022 /

La publication d’un propos diffamatoire constitue un délit prévu et réprimé par différents articles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (1). La structure de ce délit est très originale. En effet, la diffamation publique n’est qu’une infraction de presse parmi d’autres. Toutes ces infractions se consomment de la même façon : par la publication.

Cette publication est définie, d’une manière générale, à l’article 23 de la loi. Elle peut s’effectuer directement (“par des discours, cris ou menaces proférées dans des lieux ou réunions publics”) ou nécessiter un support de communication (“soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposé dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposées au regard du public soit par tout moyen de communication au public par voie électronique”).


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L’essentiel est qu’il y ait communication à des personnes non liées entre elles par une communauté d’intérêts.

L’infraction consiste dans ce fait matériel de publication, accompagné d’une intention coupable le plus souvent présumée (V. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias : LexisNexis, coll. Droit & professionnels, 3e éd. 2012, n° 402 s.). La question de la juridiction compétente est aussi importante pour réprimer cette infraction, notamment lorsqu’elle est commise entre agent d’État ou fonctionnaires.

L’originalité de la juridiction administrative française tient essentiellement à trois éléments que l’on ne trouve que rarement réunis dans les systèmes juridiques étrangers.

Le premier est marqué par la séparation absolue qui existe entre les deux ordres de juridiction, chacun ayant à son sommet une cour suprême qui lui est propre : la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire, le Conseil d’État pour l’ordre administratif.

La seconde originalité de la juridiction administrative française tient à sa composition : elle est faite de magistrats ayant en même temps la qualité de fonctionnaires. Le recrutement et le statut de ces magistrats, parfois qualifiés d’administrateurs-juges, sont entièrement distincts de ceux qui régissent les magistrats de l’ordre judiciaire.

On peut enfin relever l’étendue de la compétence de la juridiction administrative française, appelée à connaître de l’essentiel du contentieux né de l’action administrative. Il lui appartient ainsi de statuer, comme ses homologues des autres pays, sur les recours tendant à l’annulation des décisions de la puissance publique.

Mais elle est également compétente pour se prononcer sur des litiges pécuniaires tels que ceux qui mettent en cause la responsabilité de l’administration ou qui découlent des contrats passés par celle-ci, alors que ces matières relèvent le plus souvent des juridictions judiciaires dans les pays qui connaissent un système de dualité de juridiction.

En outre, selon l’article R. 312-12 « Tous les litiges d’ordre individuel, y compris notamment ceux relatifs aux questions pécuniaires, intéressant les fonctionnaires ou agents de l’État et des autres personnes ou collectivités publics, ainsi que les agents ou employés de la Banque de France, relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation du fonctionnaire ou agent que la décision attaquée concerne ». (2)

Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.

C’est ce qu’a estimé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 septembre 2021 estimant que les faits reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et ne sont pas détachables d’elles, d’autant que les propos n’ont pas été exprimés dans un cadre privé. Il s’agit bien d’un litige entre fonctionnaires dans le cadre de leurs travaux et l’ordre administratif est donc seul compétent.

Un directeur de recherche au CNRS avait fait citer devant le tribunal de police de Paris dix collègues chercheurs pour diffamation non publique, leur reprochant l’envoi d’un email à plusieurs membres de la section XVI du Conseil national des universités dans lequel ils l’accusaient notamment d’utiliser sa figure d’autorité pour se moquer de la clinique freudienne et d’avoir adopté des « comportements anétiques et anti-déontologiques ».

I. La notion de diffamation

A.  Les éléments constitutifs du délit de diffamation publique

A l’origine, le Code pénal de 1810 incriminait, en son article 367, la « calomnie » définie comme « l’imputation à un individu de faits qui s’ils existaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles ou même l’exposerait seulement au mépris ou à la haine des citoyens ».

La loi du 17 mai 1819 a substitué à l’incrimination de calomnie celle de diffamation. La loi n’interdit pas seulement la calomnie (imputation de faits que l’on sait faux), mais aussi toute médisance (imputation de faits que l’on sait vrais) portant atteinte à l’honneur ou à la considération.

L’article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881 dispose :

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».

La publicité du délit implique que les écrits ou propos incriminés soient rendus publics par l’un des procédés et moyens énumérés par l’article 23 de la loi de 1881 :

« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférées dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposées au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique auront directement... ».

Le délit de diffamation publique implique donc, outre la publicité, les éléments légaux suivants, dont la réunion, caractérise l’élément matériel :

— une allégation ou une imputation ;

— d’un fait précis ;

— portant atteinte à l’honneur ou à la considération ;

— d’une personne identifiée ou identifiable ;

et un élément intentionnel qui, par exception aux principes généraux du droit pénal, est présumé en matière de diffamation.

La constatation de l’existence de ces éléments permet de qualifier le délit de diffamation publique.

La Cour de cassation exerce son contrôle afin de vérifier que, dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et tels qu’ils se dégagent des écrits incriminés (3). Ce contrôle s’étend à la portée et à l’interprétation des textes incriminés (4).

B. Les différentes diffamations

La loi du 29 juillet 1881 distingue la diffamation à l’égard des particuliers, qui est caractérisée par la réunion des seuls éléments matériel et intentionnel ci-dessus indiqués et qui représente le « droit commun » de la diffamation (art. 32 al. 1).

Au sein de cette catégorie de diffamation, on distingue aussi deux autres types de diffamation. Tout d’abord, lorsque la victime est diffamée à raison de sa race, de sa religion, de son origine ou de son ethnie (article 32, alinéa 2) et ensuite lorsque la victime est mise en cause en raison de son orientation sexuelle, de son sexe ou de son handicap (article 32, alinéa 3º.

Il existe aussi des diffamations spéciales définies en considération de la qualité de la victime ou du contenu des propos diffamatoires :

— diffamations envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques (art. 30) ;

— diffamations envers la représentation nationale, les fonctionnaires, dépositaires ou agents de l’autorité publique et les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public (art. 31) ;

— diffamations envers la mémoire des morts (art. 34).

II. La diffamation entre agent d’État ou fonctionnaire

A.  La diffamation doit être intervenue dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et pas exprimée dans un cadre privé

« La Cour de cassation rappelle régulièrement que les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents et que, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ».

Il est, en effet, constant que seule la juridiction administrative peut statuer sur la responsabilité pécuniaire d’un agent public (élu ou fonctionnaire) y compris pour une infraction à la loi sur la presse, lorsque ce dernier a agi dans l’exercice de ses fonctions sans commettre une faute personnelle détachable du service (5).

Faisant ainsi application de ces principes, la Cour n’identifiait pas en l’espèce de faute qui aurait été personnelle et détachable, c’est-à-dire une faute qui aurait consommé sa compétence matérielle au titre de l’action civile : « En l’espèce, les prévenus sont tous professeurs d’université ou maîtres de conférences. Les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU ainsi que le précise la citation.

La partie civile fait également mention de son appartenance au CNU. Les infractions reprochées aux prévenus ne sont donc pas détachables de leurs fonctions. Les propos litigieux n’ont pas été tenus dans un cadre privé qui ne touchait pas du tout à l’exercice de leur travail ainsi que ra retenu le premier juge ».

Toutefois, cette portée ne doit pas être étendue au-delà du seul cas de figure d’une contravention de presse (diffamation ou injure non publique – 1ère classe – 38 euros d’amende) qui oppose un ou des agents publics victimes à un ou des agents publics auteurs (6).

En effet, en matière de délit de presse (diffamation ou injure publique par exemple), l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881 interfère avec les dispositions de l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III (article unique) : « L’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra, sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique ».

Cet article a donc justement pour effet d’attribuer au Juge judiciaire pénal le contentieux de la réparation indemnitaire des délits de diffamation publique ou d’injure publique commis contre des fonctionnaires ou des personnes chargées d’un mandat public.

Le conflit de normes (article 46 L. 1881 versus article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III) ne survient que lorsque la victime et l’auteur d’une diffamation envers un fonctionnaire ou un élu seront tous deux des agents publics (exemple : un maire diffamé par l’un de ses agents).

Dans cette hypothèse, l’article 46 exige à peine d’irrecevabilité que la victime saisisse le Juge judiciaire pénal pour toutes diffamations de cette nature (sauf exceptions intrinsèques à ce texte), alors que l’article 13 de la loi des 16-24 août et son décret de l’An III ne l’autorisent pas si la diffamation concernée n’est pas détachable des fonctions de son auteur.

B. Compétence juridictionnelle

« L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire. »

Il ne suffit pas qu’une personne relève de la catégorie de l’article 31. Encore faut-il que la diffamation la vise en cette qualité. Si la diffamation est étrangère aux fonctions, la personne concernée est considérée comme un simple particulier et doit agir sur le terrain de l’article 32, alinéa 1, et ce, même si sa fonction est mentionnée dans les propos incriminés. (7)

Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences attribuées au Conseil d’État, aux cours administratives d’appel, à la cour administrative de Paris et à celle de Nantes, mais aussi sous réserve des compétences attribuées aux juridictions administratives spécialisées statuant en matière de finances publiques, de discipline, de droit des étrangers, de stationnement payant, sans oublier les réserves de compétences attribuées au juge des libertés et de la détention, au tribunal de grande instance, au conseil de prud’hommes, ou à la cour d’appel de Paris.

Au sein de la juridiction administrative, les tribunaux administratifs sont les juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort, sous réserve de compétences attribuées « aux autres juridictions administratives ». Il faut donc déterminer des règles de répartition des compétences au sein de l’ordre juridictionnel administratif.

Cette nouvelle règle de compétence ne suffit pas toujours à déterminer le juge compétent pour trouver la solution juridictionnelle qu’appelle le litige et une troisième règle de compétence doit alors déterminer, dans la catégorie visée, le juge territorialement ou matériellement compétent. Et il y a finalement parfois une quatrième règle, invisible du justiciable, pour, à l’intérieur de la juridiction compétente, attribuer le litige à telle ou telle chambre spécialisée.

Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.

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Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006449875/2021-11-23/?isSuggest=true
Article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007056787?init=true&page=1&query=71-91.448&searchField=ALL&tab_selection=all
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000018550231?init=true&page=1&query=06-84.712&searchField=ALL&tab_selection=all
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032263279?init=true&page=1&query=14-87.237+&searchField=ALL&tab_selection=all
https://www.seban-associes.avocat.fr/diffamation-entre-fonctionnaires-qui-est-competent-juge-judiciaire-ou-juge-administratif/
Article 31 de la loi du 29 juillet 1881
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000031658760?init=true&page=1&query=14-85.118+&searchField=ALL&tab_selection=all

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