COMPETENCE DU TRIBUNAL CIVIL FRANÇAIS DANS LES LITIGES SUR INTERNET

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/ Mai 2021 /

Vivant en dehors de la France, pouvez-vous faire un procès en France contre un site internet dans une autre langue que le français, si ce site vous attaque au niveau de la vie privée, ou si les produits ou services que vous vendez y sont contrefaits ?

Avec l’essor d’Internet, et au vu de la place prépondérante qu’occupent les nouvelles technologies dans notre quotidien, cette question importante peut se poser.

Ainsi par exemple un site internet non français, diffusant des photos de vous à votre insu, et portant de fait atteinte à votre dignité. De même, un site étranger peut divulguer des informations relatives à votre vie privée, vous causant par la même un préjudice important.

Un site étranger peut également porter atteinte à d’autres droits, comme ceux liés à la protection accordée par le droit d’auteur : c’est l’exemple du site qui référence des produits contrefaits sans que vous en soyez informé, ou bien qui dénigre délibérément votre marque ou vos produits.


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Face à ces atteintes, les droits de chaque pays ne prévoient pas le même degré de protection. De fait, il pourra être intéressant pour les victimes étrangères ou expatriées de venir faire un procès devant les tribunaux français, en demandant l’application de la loi française.

La question de la compétence du tribunal français en matière de litige sur Internet se pose donc. Tout l’intérêt, dans le cadre d’un préjudice subi par un ressortissant étranger et découlant d’un site étranger, est d’éviter que les juridictions de plusieurs États en lien avec le même litige, se trouvent chacune compétentes pour la même procédure.

Il est important de noter que cette question se pose ici uniquement vis à vis des juridictions civiles. En effet, le juge pénal a rappelé, dans un arrêt récent du 12 juillet 2016 (Cass. Crim.), que le critère d’accessibilité, ne pouvait constituer à lui seul un critère suffisant pour saisir les juridictions pénales et qu’il était nécessaire qu’existe un lien de rattachement quelconque entre les propos et le territoire.

Les règles issues d’un tel cadre juridique trouvent différentes interprétations selon les juridictions. C’est ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), mais aussi plusieurs juridictions internes françaises se sont penchées sur la question de la compétence du tribunal français en matière de vie privée ou de contrefaçon, quand le site attaqué n’est pas français et que le plaignant n’est pas français.

Le critère juridique de l’accessibilité a été longuement débattu, et cet article ne concerne que les juridictions civiles et les demandes qui en relèvent .

En matière civil, les juridictions françaises ont finalement approuvé la compétence du tribunal français en matière de vie privée ou de contrefaçon, quand le site attaqué n’est pas français et que le plaignant n’est pas français, sur le fondement du critère d’accessibilité (I). Ceci étant, on peut s’interroger sur la manière dont cette adoption, tout en favorisant la protection des victimes de ce type de préjudice découlant d’un site Internet étranger, vient réagencer les règles de droit établies en la matière (II).

 

I.  L’accessibilité définit la compétence des tribunaux civils français

La CJUE est non seulement revenue sur les fondements de la compétence juridictionnelle des tribunaux nationaux en matière de préjudice subit par un ressortissant étranger, découlant des propos d’un site étranger (A), mais elle a également élargi le champ d’application d’une telle interprétation à d’autres supports (B).

A) L’élargissement des critères pour saisir un juge français

En effet, par un arrêt du 25 octobre 2011 « eDate Advertising & Martinez » (1) la CJUE a non seulement rappelé la compétence des juridictions de l’État au sein duquel la publication a été diffusée et a causé un préjudice au demandeur, mais elle a même été plus loin en affirmant que ce critère de « territorialité » du dommage s’amincit au regard des possibilités qu’offre Internet et que dès lors, il est pertinent de s’appuyer sur d’autres critères : ceux de l’accessibilité et du centre des intérêts.

La Cour, dans sa décision, souligne « qu’il n’est pas toujours possible, sur le plan technique, de quantifier cette diffusion avec certitude et fiabilité par rapport à un État membre particulier ni, partant, d’évaluer le dommage exclusivement causé dans cet État membre ».

De ce constat, elle en conclut alors « qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Cette personne peut également […] introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été ».

La CJUE prend donc désormais en compte deux critères : elle cesse de s’appuyer exclusivement sur les enseignements tirés de la jurisprudence Fiona Shevill du 7 mars 1995 (2) et le critère de la « matérialisation du dommage » pour délimiter la compétence des juridictions.

A contrario, elle réhabilite le critère d’accessibilité du site en question, en soutenant expressément que « la compétence optionnelle au lieu du dommage, prévue par la jurisprudence Shevill et reconduite en matière d’Internet, doit s’entendre comme visant le pays d’accessibilité du site ».

Dans un arrêt du 6 mars 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation a elle aussi refait une analyse du critère de l’accessibilité. En l’espèce, des propos injurieux envers un ressortissant britannique habitant à Monaco, ont été tenus sur internet. La Cour a recherché si le site internet était orienté vers le public français, afin que le critère de l’accessibilité soit rempli.

Cependant la Cour de cassation précise que le seul fait que ce site soit accessible depuis le territoire français ne suffit pas à rendre les juridictions françaises compétentes. De même, la notoriété dans le seul domaine des affaires, allégué par les intéressés est insuffisante pour justifier la compétence des juridictions française.

Dans un autre arrêt rendu par la chambre criminelle du 19 juin 2018, la Cour de cassation va retenir la compétence des juridictions française, en prenant en compte les critères de rattachement au territoire de la République, vu que site indiquait vouloir le « rassemblement de tous les laïques et les Républicains voulant défendre en France, en Europe et dans le monde ce principe émancipateur ». Les propos étaient donc bien destinés à un public français, le site répondant au principe de l’accessibilité.

La saisine des juridictions d’un État membre sera ouverte, dans ces conditions, à un ressortissant étranger du fait d’un préjudice causé par un site étranger, si de tels rattachements peuvent être établis.


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B) La généralisation de ces critères aux autres atteintes

La jurisprudence Fiona Shevill trouvait à s’appliquer dans le cadre d’une « diffamation internationale par voie de presse », les faits étant relatifs à un article paru dans le journal France-Soir, argué de diffamation par les sociétés belges « Chequepoint International Limited » et françaises « Chequepoint SARL » dans un litige initié au Royaume-Uni.

Par la suite, plusieurs arrêts ont suivi cette tendance. La décision du Tribunal de grande Instance (« TGI ») de Nanterre, en date du 25 octobre 2012 (3) au sujet de la violation de la vie privée de l’actrice Marion Cotillard par un journal belge après la diffusion de photos privées, reprend le critère précédemment établi du centre des intérêts du demandeur pour établir la compétence des juridictions française quant au préjudice découlant de la violation du droit à l’image sur Internet.

De même, le TGI de Paris s’est reconnu compétent, par décision en date du 14 janvier 2016 (4), pour statuer quant à la contrefaçon d’une marque française sur un site italien, dès lors que le site était disponible « dans une version traduite en français », mettant de fait en jeu le critère d’accessibilité en France précédemment dégagé.

La CJUE a elle aussi directement mis en application les critères qu’elle a su dégager, dans un arrêt du 3 octobre 2013 (5) en matière d’atteinte au droit d’auteur. Elle a notamment rappelé que « la prétendue victime d’une atteinte aux droits de la personnalité commise au moyen d’un contenu mis en ligne, protégés dans tous les États membres, peut, au titre de la matérialisation du dommage, introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel ledit contenu est accessible ou l’a été ».

Dans un arrêt du 20 août 2018, la Cour de cassation affirme que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour toutes infractions liées à la cybercriminalité a u sens strict. Ainsi pour les infractions prévues par les articles 323-2 et suivants du Code pénal, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente nationale en matière d'atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données et pour le crime de sabotage informatique.

De fait, c’est non seulement l’atteinte à la vie privée, mais plus largement tout type d’atteintes à un droit privatif qui pourra être sanctionné ici, si le critère dégagé par la jurisprudence Martinez puisse être établi.

 

II. Compétence des juridictions françaises et impact sur les règles de droit international

On constate que les juges ont voulu donner un sens commun à leur décision, certainement dans le but d’atteindre une protection plus efficace au regard de l’utilisation d’Internet (A). Ceci étant, la question se pose d’une telle volonté au regard des normes applicables en la matière (B).

A) Une tendance de la jurisprudence favorable à la protection des droits

En effet, on observe que le critère de l’accessibilité vient répondre à des litiges qui, finalement, ont le même fondement : celui d’un préjudice causé par un média étranger.

On sait que l’article 14 de la Convention européenne (6) interdit le traitement différent de situations comparables, sauf justifications objectives et raisonnables. Ici, le critère de l’accessibilité permet de traiter pareillement des atteintes similaires, qu’elles se matérialisent par voie de presse ou par Internet.

Le droit au respect de la vie privée, assuré par l’article 8 de la Convention européenne, sera donc garanti ici de manière uniforme. Ces décisions mettent en lumière la volonté d’une continuité dans la façon d’aborder et de juger ces litiges, qui somme toute est bénéfique pour une administration « égalitaire » des règles de droit applicables en la matière, aussi bien donc aux ressortissants nationaux qu’aux étrangers, et aussi bien aux regards de faits litigieux nationaux qu’étrangers.

En effet, ce que font faire valoir les arrêts précités, c’est bien qu’Internet ne doit pas être une zone « de non-droit ». La CJUE semble agir en ce sens puisqu’elle « ne s’est pas contentée d’appliquer les règles de compétences judiciaires à l’Internet, elle les a adaptées, en tenant compte de l’ubiquité de ce média, afin d’offrir, d’une part, aux victimes des options de compétence appropriées, et afin de répondre, d’autre part, aux objectifs desdites règles qui garantissent au sein de l’Union européenne une bonne administration de la justice » (7).

Il faut comprendre qu’une telle adaptation des normes applicables soutient le choix d’une protection renforcée du demandeur. Nécessairement, ce choix implique donc un certain réagencement des règles en la matière, notamment au regard du droit international.

B) Une tendance des tribunaux de remanier l’agencement des règles de droit applicables

La pertinence du critère de l’accessibilité, au regard des litiges liés à l’utilisation d’Internet, est un débat qui a déjà eu lieu. Pendant de nombreuses années, le juge français a en effet appliqué ce critère pour reconnaître la compétence des juridictions françaises dès lors que le site en question était accessible en France. Les affaires Payline (8) et Yahoo! (9) vont dans ce sens.

Et si la jurisprudence, au fil des années, a pu modérer l’emploi d’un tel critère en le subordonnant à certaines conditions — l’arrêt eBay c/L’Oréal (CJUE, 12 juillet 2011) précisait à l’époque que l’accessibilité du site en France ne suffisait pas à caractériser, seul, la contrefaçon sur Internet — l’arrêt Martinez est venu réaffirmer assez fortement l’assise d’un tel critère.

Aujourd’hui, Internet permet d’accéder à la quasi-totalité des sites existants, depuis n’importe quel endroit. La plupart des sites ayant vocation à s’exporter sont traduits dans plusieurs langues. De plus, certains outils y intègrent désormais une traduction automatique des sites étrangers.

De fait, le critère de l’accessibilité est un outil qui permet, sans aucun doute, d’établir la compétence des juridictions françaises en la matière.

Le choix du juge européen, ici, est de favoriser la compétence des juridictions nationales. On comprend donc que, de l’aveu-même de l’instance supranationale, les critères dégagés sont les normes qui désormais régissent d’éventuels conflits de juridiction dans ce cadre.

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SOURCES :

(1) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A62009CJ0509
(2) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A61993CJ0068
(3) https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-nanterre-1ere-chambre-ordonnance-de-mise-en-etat-11-octobre-2012/
(4) https://www.doctrine.fr/d/TGI/Paris/2016/INPIM20160030
(5) http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=142613&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1173273
(6) http://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf
(7) http://blogs.u-paris10.fr/article/les-regles-europeennes-de-competence-juridictionnelle-en-matiere-delictuelle-et-quasi
(8) https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-nanterre-ordonnance-de-refere-du-13-octobre-1997/
(9) https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-ordonnance-de-refere-du-20-novembre-2000/
Crim., 6 mars 2018, n° 16-87.533
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036741979/
Crim.,19 juin 2018, n° 17-86.604
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037135767*
Crim., 20 août 2018, n° 18-84.728
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_8743/2018_8744/ao_t_8910/2068_20_40362.html

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