RESPONSABILITE DU DIRECTEUR DE LA PUBLICATION: MEME EN CAS D'EXTERNALISATION ?

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/ Avril 2021 /

Le responsable de la communication est le garant de la ligne éditoriales d’un média. En cas de délit de communication, sa responsabilité pénale peut être engagée car il est le représentant de l’actionnaire. Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication suppose donc de redéfinir et de préciser les contours de ses fonctions et ses responsabilités. La Cour de cassation est récemment venue préciser le sort de la responsabilité du directeur de la publication d’un site internet en cas d’externalisation d’un service de modération sur un espace de contribution personnelle.

Le directeur de publication est la personne chargée au sein d’une entreprise de communication de rendre public le contenu éditorial. Il est donc responsable pénalement de tout ce qui est publié. Cette responsabilité est incontournable.

Initialement, le rôle de directeur de publication était cantonné à la presse écrite, puis il s’est entendu à l’audiovisuel (loi française du 29 juillet 1982), et enfin au numérique ( loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004). Son rôle s’est donc adapté au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.


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Il doit désormais veiller sur de nouveaux contenus, c’est le cas des espaces de contributions personnelles en ligne.

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication a permis de faire participer un citoyen lambda au contenu éditorial d’un site d’informations en ligne. Cela est notamment rendu possible par la mise en place d’espaces de contributions personnelles.

En effet, l’avènement du Web 2.0, assortie à la pérennisation des outils technologies au sein de notre quotidien, sont deux phénomènes liés caractérisent les usages et pratiques d’aujourd’hui sur internet : basé sur un système plus simple et plus interactif, au cœur duquel les liens sociaux sont mis en avant, Internet constitue désormais une « page blanche » sur laquelle peuvent s’exprimer les utilisateurs.

Le partage, l’échange et autres moyens de contributions sont désormais des fonctionnalités complètement ancrées dans les interfaces de contenus proposées par les sites internet.

Par ce biais, les internautes peuvent commenter, compléter ou réagir sur l’information de leur choix. Cette interaction permet d’ajouter du contenu, mais également de rester compétitif par rapport aux autres sites qui proposent également ce service.

Ceci étant, il convient de garder à l’esprit que cette nouvelle forme de communication et d’interaction n’est pas totalement libre. Des limites doivent être imposées, qui dès lors qu’elles sont franchies vont engager la responsabilité de ceux « en lien » avec le contenu litigieux, et notamment la responsabilité du directeur de la publication.

Cette nouvelle forme d’expression soulève donc de nouvelles difficultés. Alors que l’éditeur d’un journal papier peut contrôler entièrement sa publication, ce n’est pas le cas d’un éditeur de site internet qui est confronté à une production et une publication continue par le biais des commentaires d’internautes. Dans le cas d’un site web ou d’un blog, l’éditeur est considéré comme directeur de publication. Il doit donc assumer la responsabilité du contenu.

Devant l’afflux des contributions d’internautes, certaines entreprises externalisent leurs services de modération afin de mieux contrôler les commentaires diffamatoires ou injurieux.

C’est notamment le cas du site lefigaro.fr. Après avoir pris en compte différents facteurs, la Cour de cassation a estimé dans un arrêt du 3 novembre 2015 que malgré l’externalisation du service de modération, la responsabilité du directeur de publication devait être engagée dans la mesure où il pouvait exercer son devoir de surveillance.

Cette conception stricte de la responsabilité du directeur de publication mérite d’être questionnée. De fait, en ayant saisi au préalable le caractère précis d’une telle responsabilité pour le directeur de publication d’un site internet (I), il convient de se pencher sur l’affaire « lefigaro.fr », illustration d’une conception stricte de cette responsabilité (II).

 

I – La responsabilité du directeur de publication d’un site internet

A - Une responsabilité pénale d’exception

L’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982, sur la communication audiovisuelle modifié par la LCEN indique que « Tout service de communication au public par voie électronique est tenu d'avoir un directeur de la publication. ». Comme en matière de presse écrite, un site internet doit avoir un directeur de publication. Il est le garant d’un juste équilibre entre la liberté d’expression médiatique et le respect des infractions de presse relatives notamment à la protection de la vie privée. Il exerce en ce sens de lourdes responsabilités. Il est pénalement responsable de toutes les publications sur le site internet qu’il dirige.

Il ressort des articles 42 et 43 de la loi de 1881 qu’un délit de presse suppose une responsabilité en cascade. Ce système repose sur l’idée que les premières personnes devant être tenues pour responsables, ne sont pas les auteurs, mais le directeur de la publication ou l’éditeur. Ces personnes qui prennent la décision de publier ou non un article seront à l’origine de l’infraction de presse. Ce principe implique que le premier responsable est le directeur de publication puis à défaut, l’éditeur et enfin l’auteur du propos fautif.

Ce principe a été confirmé dans un arrêt du 14 mars 2017 qui dispose qu’en « qualité de directeur de la publication du site, [il ]a lui-même procédé à la mise en ligne des textes incriminés, lesquels avaient donc fait l’objet d’une fixation préalable à leur communication au public, de sorte que le prévenu doit répondre comme auteur principal des infractions qu’ils contiennent ». Le directeur de la publication engage donc sa responsabilité puisqu’il existait une présomption de connaissance des contenus mis en ligne, envers le directeur de la publication.

Dans un arrêt du 22 janvier 2019, la Cour de cassation précise que, lorsque le service de communication est fourni par une personne morale, alors le directeur des publications est, soit le représentant légal ou le représentant statutaire (si association), à défaut de toutes indications contraires.

La simple démonstration de la qualité de responsable de publication conduit donc à admettre sa responsabilité, de sorte qu’il est quasiment impossible pour lui de s’en exonérer.

Il est par exemple, de jurisprudence constante, que ni la bonne foi, ni l’absence d’intention coupable ne suffisent pour écarter le régime de responsabilité qui pèse sur les directeurs de publication.

Pour exercer ce rôle plusieurs conditions doivent être réunies : il faut être majeur, avoir la jouissance de ses droits civils et n'être privé de ses droits civiques par aucune condamnation judiciaire. Les coordonnées du directeur de la publication, de la publication doivent apparaître clairement dans les mentions légales du site web.

Le directeur de la publication est obligatoirement le représentant légal de la personne morale éditrice d'une publication, il n’a pas à être nommé. Les modalités de sa désignation sont définies par la loi.

Alors qu’en droit pénal, seul l’auteur d’une infraction est punissable, le régime de responsabilité pesant sur le directeur de publication fait exception et est très strict. Il ressort de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 que « Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public. ».

Par cette disposition, le législateur a écarté les difficultés relatives à l’identification des auteurs de propos illicites en faisant peser la responsabilité pénale sur une personne désignée et donc facilement identifiable : le directeur de publication. Cette disposition est apparue nécessaire à l’ère du numérique, dans la mesure où les commentaires se font principalement sous couvert d’anonymat. En l’absence d’une telle disposition, les personnes lésées par un contenu injurieux ou diffamatoire pourraient se voir priver d’indemnisation en raison de l’impossibilité d’identifier un responsable.

Si le directeur de la publication bénéficie de l’immunité parlementaire , il devra alors désigner un codirecteur de publication qui engagera sa responsabilité pénale. Le rôle de ce codirecteur est soumis aux mêmes conditions que celles relatives au directeur de publication.

B – La responsabilité relative aux commentaires des internautes.

Le développement du web 2.0 a facilité l’ interactivité par le développement des plateformes d‘échanges facilement accessibles. Plus un sujet est polémique, plus le nombre de commentaires est élevé, ce qui peut rendre le contrôle du contenu plus difficile pour le directeur de publication.

Ces commentaires sont susceptibles d’infractions. Dans la plupart des cas, il s’agit d’injures « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait » ou de diffamation « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». (loi sur la liberté de la presse de 1881, article 29).

Comme ce fut le cas dans une décision du 23 septembre 2020, où le tribunal judiciaire de Marseille a condamné deux internautes pour avoir rédigé des avis diffamatoires sur internet.

La personne qui a subi un préjudice du fait du commentaire litigieux, a le droit à ce qu’il soit réparé, dans ces cas là il faut clairement identifier sur qui repose la responsabilité du commentaire fautif. Dans le cas d’un site web ou d’un blog , cela nécessite un travail de qualification de l’auteur pour différencier le directeur de publication, de l’éditeur et de l’hébergeur.

Afin de permettre le développement de ces nouveaux modes de communication, il est apparu nécessaire d’alléger le régime applicable aux hébergeurs qui faisait peser sur eux une obligation générale de surveillance. La LCEN a instauré un nouveau régime, celui de la communication au public en ligne. Cette loi permet de ne pas systématiquement assimiler un hébergeur de site à un éditeur.

L’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 définit les hébergeurs comme « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

Les hébergeurs de site internet ne sont pas tenus à une obligation générale de surveillance. Il pourra dans certains cas s’exonérer de sa responsabilité civile et pénale. L’engagement de la responsabilité est étroitement lié à la notion de contrôle. C’est ce qu’il ressort de l’article 6-I-2 de la  LCEN. L’hébergeur n’est ainsi pas responsable d’un contenu illicite lorsqu’il n’en a pas eu « effectivement connaissance ». Toutefois, la simple prise de connaissance par quelque moyen que ce soit suffit à engager sa responsabilité civile et pénale. Il doit alors réagir « promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible" (L.CEN, fin de l’art. 6-I-2). Cette “connaissance des faits litigieux est présumée acquise” (L.CEN, art. 6-I-5) lorsqu’elle est notifiée par toute personne lésée ou intéressée.

Le non-respect à cette obligation de déréférencement est sanctionné, comme pour Google qui fut condamné par la CJUE le 24 septembre 2019, sanction confirmée par le Conseil d’État dans sa décision du 27 mars 2020.


II – L’affaire lefigaro.fr : Une conception stricte de la responsabilité pénale du directeur de publication d’un site internet

A – Les faits : un service de modération externalisé défaillant

Compte tenu des lourdes responsabilités qu’implique la publication de commentaires par les internautes pour les éditeurs des sites web concernés, de nombreuses entreprises font appel à des prestataires externes spécialisés pour assurer le service de modération de leurs sites web. En effet, face à l’afflux des commentaires, la gestion en interne est parfois insuffisante, notamment pour les grands médias.

Le site du quotidien « Le Figaro » a ainsi mis en place la possibilité d’alerter en temps réel un service de modération sur le contenu des messages déposés dans son espace de contributions personnelles. Pour que le commentaire soit validé et publié par les modérateurs, il doit être conforme à la charte d’utilisation du service.

Le 17 janvier 2010, un internaute a fait publier un commentaire sur le site " lefigaro. fr ". Le destinataire de ce commentaire a estimé qu’il comportait des propos diffamatoires. Il a donc alerté deux jours plus tard l’équipe de modération, en demandant sa suppression par le biais de la fonction de modération proposée par le site. Le service de modération avait alors pris l’engagement de le supprimer. Malgré cette réponse, le message a été maintenu. Le destinataire des propos diffamatoires a alors adressé une nouvelle réclamation, le 6 février, en indiquant son intention d’engager une action judiciaire.

Ce n’est que le 8 février à 22 heures 45 que ce service l’a informé que le commentaire litigieux avait été retiré alors même que la personne diffamée avait respecté les modalités prévues par la charte en alertant le service de modération à deux reprises.

La Cour de cassation a donc du identifier et qualifier le responsable de ces propos diffamatoires.

B – La solution de la Cour de cassation : L’engagement de la responsabilité pénale du directeur de publication

La Cour a estimé que le directeur de la publication n’avait pas retiré suffisamment rapidement le message diffamatoire alors qu’après deux alertes la personne concernée, il aurait pu le faire.

C’est donc la responsabilité pénale du directeur de la publication qui a été engagée et non celle du service de modération.

En effet, la Cour a estimé que malgré le fait que le directeur de publication n’ai pas eu personnellement connaissance des propos litigieux, il était tout de même en mesure d’exercer son devoir de surveillance.

Cette solution peut paraître surprenante dans la mesure où le dysfonctionnement est avant tout imputable au service externe de modération.

A l’appui de son raisonnement, la Haute juridiction a tenu compte du fait que « si son nom et sa qualité de directeur de la publication figurent sur le site » , tel n’était pas le cas de ses coordonnées et notamment son adresse mail.

La Cour de cassation a ainsi considéré que le directeur de la publication était en mesure d’exercer son devoir de surveillance et qu’il ne pouvait « utilement se prévaloir, ni de ce que ladite fonction de modération aurait été externalisée, ni du bénéfice des dispositions régissant la responsabilité pénale des hébergeurs du site ».

Ainsi, le fait d’externaliser un service de modération ne permet pas de déroger au régime institué par l’article 93-3 de la loi sur la communication audiovisuelle modifiée.

Par cet arrêt, la Cour de cassation revient aux fondements du régime de responsabilité pénale du directeur de la publication. Elle réaffirme que l'acte de publication et de diffusion au public constitue la véritable justification du régime dérogatoire de responsabilité. C’est donc le simple fait de donner l’accord à la publication qui fonde la responsabilité et non le fait d’être à l’origine du contenu. C’est une décision particulièrement protectrice des victimes de commentaires diffamatoires.

Pour nuancer ce principe, la Cour de cassation va, dans un arrêt du 7 mai 2018, considérer que l’exemption de bonne foi admise au profit de l’auteur, bénéficie également au directeur des publications. Ce bénéfice de la bonne foi vaut, bien que le directeur des publications avait connaissance des contenus de la publication.

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SOURCES :

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=74A3E29B4848B8A1111167705A68CCE6.tpdila15v_3?cidTexte=JORFTEXT000000880222&dateTexte=20151228
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000801164
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000031449831
http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4802
Crim., 14 mars 2017, 15-87.319
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000034214327
Crim., 22 janvier 2019, 18-81.779
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038091419/
Tribunal judiciaire de Marseille, ordonnance de référé du 23 septembre 2020
https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-marseille-ordonnance-de-refere-du-23-septembre-2020/
CJUE, 24 septembre 2019, C‑136/17
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=218106&doclang=FR
Décision Conseil d’État 27 mars 2020, N° 399922
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000041782236
Crim., 7 mai 2018, n° 17-82.663
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036930201/

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