LA PROTECTION DU DESIGN

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/ Avril 2024/
Les arts appliqués sont l'appellation française du design, aussi nommé art industriel, esthétique industrielle, création industrielle, stylique. Ils œuvrent à la conception de la forme d'un objet de l'industrie. Leurs créations sont le mobilier, le vêtement, l'électro-ménager, les appareils électriques du soin et des loisirs, les articles de sport, les jouets, les carosseries, les emballages, etc...

La forme de tous ces objets peut être protégée, sous certaines conditions. Deux systèmes de protection, aux conditions et régimes distincts, sont disponibles : celui du droit d'auteur et celui des dessins et modèles, dit régime de protection spécifique.

La protection du droit des dessins et modèles naît d'un dépôt qui doit se faire avant la divulgation de la création; elle confère la présomption de titularité des droits au déposant, qui peut être une personne morale.

La protection du droit d'auteur naît de la création même, elle est donc gratuite et sans formalité, mais il faudra prouver être l'auteur de l'œuvre, ce qui n'est pas toujours évident pour une entreprise.


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L'exploitation des créations du design est plus simple dans le régime des dessins et modèles puisqu'elle n'est pas encombrée des droits moraux du créateur, comme dans le régime du droit d'auteur.

En revanche, le monopole est plus court, 25 ans, que celui conféré par le droit d'auteur où il est de 70 ans à compter de la publication de la création, s'il s'agit d'une œuvre collective ou d'une durée équivalent à la vie entière de l'auteur augmentée de 70 ans à partir de la mort de ce dernier, s'il s'agit d'une œuvre individuelle.

Le 3 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris a rappelé (TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. JME, 3 févr. 2023, no 21/14105) que la prescription de l’action en contrefaçon court à compter du jour où le titulaire du droit l’a connu ou aurait dû la connaitre. Il a néanmoins déclaré irrecevable, en raison de l’ancienneté, une action intentée 75 ans après la création de l’œuvre prétendument contrefaisante. (15)

Les conditions de la protection des créations des arts appliqués par le droit des dessins et modèles (I) sont plus simples à satisfaire que celles fixées par le droit d'auteur, qui reposent sur l'originalité de la création (II).

I. Les conditions de la protection des créations des arts appliqués par le droit des dessins et modèles

Sous le régime spécifique, les conditions de la protection des créations des arts appliqués se compliquent de la formalité du dépôt.

A. Les conditions de fond

1. Les conditions positives

a. Visibilité de la création

La protection porte sur l'apparence d'un produit ou d'une partie de produit. C'est la forme extérieure qui est prise en compte et non les constituants du produit. Seuls les éléments visibles de l'objet industriel sont protégeables.

Dans un produit complexe, composé de pièces multiples qui peuvent être remplacées, seules les pièces visibles lors d'une utilisation normale dudit produit par l'utilisateur final sont protégeables. Les éléments intégrés invisibles, aussi importants soient-ils dans le fonctionnement du produit, ne sont pas pris en compte.

L'utilisation normale exclut les manipulations de l'objet lors de son entretien ou réparation.

L'utilisateur final peut être un consommateur comme un professionnel.

L'utilisation qui est faite des pièces par le professionnel faisant le montage du produit complexe n'est pas prise en compte, puisqu'il ne s'agit pas de l'utilisation par l'utilisateur final du produit auquel ces pièces sont intégrées.

Lorsque la forme extérieure du produit est transparente, les éléments intérieurs visibles sont également pris en compte (Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 17 janvier 2014, n° 12/00814, au sujet d'un flacon translucide, en forme de Tour Eiffel, garni de bonbons billes bleus, blancs et rouges).

Dans un arrêt en date du 22 novembre 2023, (CA Paris, P. 5, ch. 1, 22 nov. 2023, no 21/05608) la cour d’appel de Paris a jugé, à propos de connecteurs électriques, qu’un connecteur destiné à être incorporé à un circuit électrique est une pièce de produit complexe. (16)

b. Nouveauté de la création

i. Définition

L'article L. 511-3 du CPI pose une définition objective de la nouveauté : "Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée,  aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué."

Il convient donc de vérifier l'absence de produit identique parmi l'ensemble des produits précédemment divulgués, appelé art antérieur.

ii. Le produit identique

Le produit identique est celui dont les caractéristiques ne diffèrent du produit à protéger que par des détails insignifiants.

Seules les caractéristiques visibles doivent être prises en compte.

Selon l'interprétation du Tribunal de l'Union européenne, les détails insignifiants sont ceux qui ne sont pas immédiatement perceptibles. Les différences perceptibles immédiatement, mêmes faibles, suffisent à établir la nouveauté du produit à protéger (Trib. UE, 6 juin 2013, aff. T-68/11 [1]).

Un exemple récent de détails insignifiants est donné par des cierges magiques en forme d'étoile où la branche supérieure d'une étoile était arrondie tandis que celle de l'autre étoile était pointue et où le manche d'un cierge présentait un renflement à sa base, tandis que celui de l'autre n'en possédait pas (Cour d'appel de Rennes, 14 mai 2019, n° 16-05243).

Un produit combinant des éléments connus est nouveau si une telle combinaison n'avait jamais été faite. L'identité doit porter sur tous les éléments du produit pris dans leur combinaison et non séparément (Com., 20 septembre 2016, n° 15-10.939, [2]). L'antériorité détruisant la nouveauté du produit à protéger doit être de toute pièce, c'est-à-dire que les caractéristiques du produit examiné doivent se retrouver intégralement dans un produit antérieur donné.

La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 14 mai 2020 (CA Douai 1er ch., 14 mai 2020 °2017/00516 Trolem c/ Boston Golf Europe) a prononcé l’annulation d’un dessin ou modèle au motif que les différences relevées n’étaient que « des modifications secondaires eu égard à l’ensemble des similarités existantes entre les deux modèles ». Elle rejette en concurrence déloyale en rappelant que l’imitation n’est fautive que si un risque de confusion existe entre les deux produits. (17)

iii. L'art antérieur

L'art antérieur comprend tous les produits divulgués avant la date de dépôt de la demande ou la date de priorité.

La date de priorité est la date d'un dépôt antérieur fait dans un pays membre de la Convention de Paris et revendiqué lors d'un nouveau dépôt fait dans les six mois dans un autre pays membre de la Convention. La revendication de cette priorité permet de fixer l'état de l'art antérieur à la date du premier dépôt, lors de l'appréciation de la nouveauté et du caractère propre du produit par les autorités compétentes du pays de second dépôt.

La divulgation consiste à rendre le produit accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen (une commercialisation par exemple).

L'état de l'art antérieur n'est pas limité dans le passé ou dans l'espace.

Le créateur a cependant droit à un délai de grâce de 12 mois pour déposer sa demande lorsqu'il a procédé lui-même à la divulgation de son produit. L'antériorité constituée par le produit même ne sera pas opposée à la nouveauté dudit produit si le dépôt est fait dans le délai de grâce.

c. Caractère propre de la création

i. Définition

L'article L. 511-4 du CPI donne une définition du caractère propre. "Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée."

Cette condition complète celle de nouveauté d'une exigence supplémentaire. Une faible différence par rapport à l'état antérieur suffit à la nouveauté, mais peut ne pas suffire à donner un caractère propre.

La chambre commerciale, dans un arrêt du 23 juin 2021 (Cass. Com., 23 juin 2021, n°19-18111) rappelle que la contrefaçon d’un modèle s’apprécie au regard de l’impression visuelle d’ensemble qu’elle suscite, prise dans son entièreté et non dans ses éléments jugés déterminants. (18)

ii. Observateur averti

Pour la CJUE, l'observateur averti pris pour référence lors de l'examen du caractère propre est "une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle de l’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies." (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-281/10 [3]).

La Cour de cassation reprend cette définition à son compte. Un arrêt qui avait pris pour observateur averti le modèle du consommateur moyen a été cassé au motif que "l'observateur averti se définit comme un observateur doté d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré " (Com., 29 mars 2017, 15-20.785 [4]).

Un consommateur peut néanmoins être pris pour modèle s'il est averti du fait de son utilisation assidue du produit, l'observateur averti étant en fait un utilisateur averti (terme plus clair employé dans le droit de l'Union dont le droit français n'est qu'une traduction) du produit à protéger.

iii. Impression visuelle d'ensemble

Le caractère propre de la création doit s'apprécier dans la seule forme extérieure (puisqu'il s'agit d'une impression visuelle) telle que définie précédemment.

L'impression visuelle d'ensemble naît d'une comparaison entre le produit à protéger et des produits antérieurs. Elle aboutit au caractère propre du produit en cause lorsqu'elle diffère de celle produite par toutes les antériorités invoquées, prises individuellement.

L'appréciation du caractère propre tient compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle. Elle doit être pondérée par l'existence de contraintes qui s'imposent au créateur en fonction de la nature du produit, de son utilisation ou de la réglementation.

Selon la jurisprudence du Tribunal de l'Union, "ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné. Partant, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti.

À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti".  (TUE, 21 juin 2018, aff. T‑227/16 [5])

La chambre commerciale, dans un arrêt du 1er décembre 2021 (Cass. com., 1er déc. 2021, no 19-14490)  précise que la contrefaçon d’un modèle s’apprécie au regard des seules reproductions fournies dans l’acte de dépôt. (19)

2. Les conditions négatives

a. Exclusion des formes exclusivement imposées par la technique

L'apparence dont les caractéristiques sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit n'est pas protégée par le droit des dessins et modèles, mais par le droit des brevets.

Ceci n'empêche pas les parties apparentes du produit non exclusivement imposées par la fonction technique d'être protégées par le droit des dessins et modèles, auquel cas, le même produit pourra être protégé, pour une partie, par un brevet et, pour une autre, par le droit des dessins et modèles.

On utilise le critère de la multiplicité des formes pour juger de l'indépendance de la forme d'un produit par rapport à la fonction technique.

Si plusieurs formes étaient possibles, l'apparence du produit n'était pas imposée exclusivement par la technique.

b. Exclusion des éléments d'interconnexion

i. Principe

Les pièces d'interconnexion n'ont pas droit à la protection du droit des dessins et modèles, même si elles demeurent visibles dans le cadre d'une utilisation normale par l'utilisateur final du produit auquel elles sont intégrées. Cette exclusion a pour but d'assurer la concurrence sur le marché des pièces de rechange, en préservant l'inter-opérabilité de ces dernières.

ii. Inclusion des produits modulaires

Cependant, l'apparence des produits modulables pouvant être assemblés entre eux de diverses façons est protégeable. Il peut s'agir des pièces d'un jeu de construction, mais aussi de chaises empilables de plusieurs manières. Les constructeurs de tels produits sont protégés contre la concurrence de tiers qui proposeraient des produits combinables avec les leurs.

Le tribunal de l’Union européenne a rappelé dans un arrêt du 24 janvier 2024 (Trib. UE, 24 janv. 2024, no T-537/22, Delta-Sport Handelskontor c/ EUIPO) que les caractéristiques de l’apparence d’un produit dicté par sa fonction technique ne peuvent être protégées en tant que dessins et modèles, excepté si elles bénéficient de l’exception des systèmes modulaires. (20)

B. Les conditions de forme

Les conditions de la protection des créations du design au titre du droit des dessins et modèles imposent une procédure d'enregistrement de la création. Pour y procéder, il faut déposer une demande d'enregistrement. Trois types de dépôts sont possibles.

1. Dépôt national

Il permet d'obtenir un titre national à la suite d'un dépôt dans un pays où l'on cherche à obtenir la protection de sa création. Chaque État organise la procédure de dépôt comme il l'entend.

En France, le dépôt se fait à l'INPI (l'Institut national de la propriété industrielle).

La demande doit comporter l'identification du déposant, une repoduction du produit (graphique ou photographique ou au moyen d'un échantillon inférieur à 3 mm), l'indication de la classe du produit selon la classification de Locarno [6], et une redevance (tarifs accessibles sur le site de l'INPI [7]).

Il n'est pas fait d'examen des conditions de fond de la protection. Les dépôts conformes aux formes prescrites sont publiées au BOPI (Bulletin officiel de la propriété industrielle).

Un ajournement de la publication de trois ans peut être demandé afin de préparer dans le secret le lancement du produit sur le marché. Le dépôt est ensuite inscrit au RNDM (registre national des dessins et modèles) avec mention du titulaire. L'enregistrement est constitutif de droit, le produit enregistré étant présumé valable au regard du droit des dessins et modèles. Ce n'est qu'en cas de contentieux en contrefaçon, devant un tribunal, que les conditions de fond de validité seront examinées .

2. Dépôt international

Il permet d'obtenir, à la suite d'un seul dépôt, plusieurs titres nationaux, dans les pays signataires de l'arrangement de La Haye (liste des 70 pays membres sur le site de l'OMPI [8]). Le dépôt se fait au Bureau international de l'OMPI (à Genève), par courrier postal ou par la voie électronique [9]. Il faut désigner les pays dans lesquels la protection est recherchée.

Chaque office national examinera la demande, selon sa propre législation nationale. En l'absence de refus, l'OMPI procède à l'enregistrement du produit pour tous les pays désignés. L'enregistrement est valable 5 ans, son renouvellement pour des durées successives de 5 ans est possible jusqu'à concurrence de la durée maximale de protection prévue par la législation nationale.

3. Dépôt communautaire

Il permet d'obtenir un titre communautaire, dont les conditions de validité de fond sont les mêmes que pour le titre français. Le titre communautaire est valable sur tous les territoires de l'UE, pour une durée de 5 ans, avec un renouvellement possible jusqu'à une durée maximale de 25 ans.

Il se fait à l'EUIPO (Office de l'UE pour la propriété industrielle dont le siège est à Alicante), la voie électronique étant possible. La seule condition de fond de protection examinée est la visibilité. Le titre est enregistré au registre des dessins et modèles communautaires; son opposabilité aux tiers est effective dès la publication de l'enregistrement au Bulletin des dessins et modèles communautaires.

 

II. L'originalité des créations des arts appliqués, condition de la protection par le droit d'auteur

La seule condition de la protection du design au titre du droit d'auteur est l'originalité .

A. Différence de l'originalité d'avec les conditions positives de la protection spécifique

En raison de la théorie de l'unité de l'art, le cumul des protections était de droit. L'originalité était assimilée à la nouveauté, seule condition de fond de la protection spécifique jusqu'à sa réforme de 2001 qui a donné un contour objectif à la condition de nouveauté et ajouté la condition du caractère propre.

Peu à peu, la jurisprudence s'est orientée vers un cumul des protections sous condition de respect des exigences propres à chaque système : "si la protection tirée de l'enregistrement d'un dessin ou modéle est accordée par l'article L. 513-2 du code de la propriété intellectuelle sans préjudice des droits résultant de l'application des livres I et III du code de la propriété intellectuelle relatifs au droit d'auteur, les articles 17 de la directive du 13 octobre 1998 et L. 513-2 du code précité imposent non pas un cumul total ou de plein droit de ces diverses protections mais autorisent seulement un tel cumul lorsque les possibilités respectives des différentes protections sont satisfaites" (Crim., 13 décembre 2011, 10-80.623 [10]).

1. Différence d'avec la nouveauté

La nouveauté est prise dans un sens objectif; de faibles différences avec l'état de l'art, pourvues qu'elles ne soient pas insignifiantes, sont suffisantes.

En comparaison, l'originalité exige davantage de différences : l'œuvre ne doit pas être seulement nouvelle, elle doit être comme personnalisée.

Par exemple, la nouveauté est acquise en absence d'une antériorité de toutes pièces, alors que la présence des caractéritiques d'un produit dans des produits antérieurs peut ruiner la qualité d'originalité si leur rassemblement dans un seul produit manque d'originalité (Civ. 1, 5 avril 2012, n°10-27.373 [11]).

De plus, les antériorités prises en compte dans l'examen de l'originalité sont constituées dès la date de création et non à partir de la date de divulgation .

2. Différence d'avec le caractère propre

L'originalité n'est pas appréciée selon le point de vue d'un observateur averti mais du point de vue du juge. De plus, l'exigence d'originalité n'est pas pondérée par l'impression visuelle d'ensemble. De même, l'antériorité n'a pas à être de toute pièce, comme pour l'appréciation du caractère propre.

L'originalité d'un modèle ne se déduit pas de l'impression différente que peuvent produire les modèles qui lui sont antérieurs; plutôt, elle découle de l'empreinte personnelle de l'auteur donnée au produit au regard des antériorités (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 24 juin 2011, n° 10/16349).

Une création industrielle peut très bien avoir un caractère propre sans avoir pour autant d'originalité.

L'originalité exige davantage que des caractéristiques qui seraient propres à donner au produit une individualité; il lui en faut de celles qui le réhausseraient d'un éclat particulier.

Ainsi, un moulinet de canne à pêche paraissant avoir une physionomie propre au regard d'autres moulinets manque néanmoins d'originalité en ce que la combinaison de ses caractéristiques, quoique procédant de choix pour partie arbitraires, "ne s'avère pas de nature à traduire un réel parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur" (Com., 10 février 2015, n°13-27.225 [12])

Il s'avère donc que la condition d'originalité est plus difficile à satisfaire que les conditions de nouveauté et de caractère propre.

La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 8 novembre 2023 (CA Paris, P. 5, ch. 4, 8 nov. 2023, no 21/04116) rejette  le caractère original d’un modèle d’étui en cuir pour des bouteilles de whisky. Celle-ci affirme que les explications données par le concepteur témoignaient d’un savoir-faire et non d’un parti pris esthétique. Elles étaient par conséquent insuffisantes pour caractériser l'originalité d’un modèle. Par cet arrêt, la cour réaffirme ainsi le critère de « parti pris esthétique » nécessaire pour apprécier la condition d’originalité. (21)

B. L'appréciation de l'originalité des créations des arts appliqués

1. Les indices d'originalité

L'originalité est comprise dans le domaine des œuvres des arts appliqués comme l'empreinte de la personnalité de l'auteur. Cependant, la création industrielle est rarement l'œuvre d'un auteur individuel, mais plutôt d'une équipe où le designer, aidé de ses assistants, doit composer avec les contraintes imposées par l'ingénieur et l'analyste de prix de revient.

L'apport de la personnalité des différents intervenants dans le processus de création n'est pas évident. Même dans le cas du designer, la création ne demande pas l'expression d'une personnalité, mais bien plutôt d'une créativité. La jurisprudence qualifie d'ailleurs parfois l'originalité des œuvres des arts appliqués comme étant la marque d'un effort créatif (Com., 26 février 2008, n°05-13.860 [13]). Elle use majoritairement de deux indices, l'effort créatif et l'effet esthétique, repérés à deux phases distinctes de la création.

a. L'effort créatif

L'effort créatif est recherché en amont de l'œuvre, lors du processus de création. L'auteur devra avoir fait montre de créativité et non de l'application d'un simple savoir-faire. Le savoir-faire permet de créer facilement un produit nouveau, par exemple par l'ajout à un ensemble de caractéristiques banales d'un élément tiré d'une tendance ou de produits d'un autre genre.

Ainsi, la Cour de cassation a estimé au sujet d'un modèle de chaussures qui "présentait la combinaison de l'essentiel des caractéristiques" d'un modèle antérieur que "l'ajout de semelles à picots qui s'inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l'empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n'était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d'auteur" (Civ. 1, 20 mars 2014, n°12-18.518 [14]).

L'effort créatif peut être reconnu en présence d'un réel parti-pris esthétique qui dépasse les simples choix arbitraires (Com., 10 février 2015, n°13-27.225, précité). Ce parti-pris esthétique s'exerce au moment de la conception, dans les choix particuliers faits par l'auteur. Il ne doit pas se confondre avec l'effet esthétique produit par l'œuvre à son achèvement.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 février 2023 (CA Paris, P. 5, ch. 1, 15 févr. 2023, no 21/14049) rappelle qu’une création des arts appliqués qui ne traduit pas un travail créatif issu de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur ne peut prétendre à la protection par le droit d'auteur.  (22)

b. L'effet esthétique

L'effet produit par l'œuvre sur le consommateur peut être pris comme indice d'originalité.  Il s'agit de repérer si les caractéristiques de l'objet hisse ce dernier à un aléa proprement esthétique et non simplement commercial.

Autrement dit, les caractéristiques de l'objet doivent produire un résultat susceptible d'appeler un jugement esthétique de la part du consommateur apte à déterminer partiellement son choix. Ainsi, une mini poêle à frire a été reconnue originale parce qu'elle était "susceptible de rencontrer son public non simplement comme une marchandise mais aussi au travers d'un jugement esthétique" (Tribunal de grande instance de Paris, CT0087, du 15 novembre 2006 [15]).

2. La charge de la preuve

En cas de contestation de l'originalité de l'œuvre d'art appliqué, c'est à l'auteur de l'œuvre mise en cause, souvent dans le cadre d'une action en contrefaçon initiée par lui , de démontrer l'originalité en identifiant les caractéritiques qui la soutiennent.

Ainsi, ne démontre pas être titulaire de droit d'auteur, celui qui revendique des droits sur une couture dorsale ornementale, "sans l'identifier avec précision ni en caractériser les détails, condition première du droit d'auteur" (Civ. 1, 15 janvier 2015, n°13-22.798 [16]).

L'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité (TGI Paris, 3e ch., sect. 3, 14 mars 2014, n° 12/04464). Cette explicitation ne doit pas être « une description purement technique qui découle de la stricte observation objective de l'œuvre, de ce fait étrangère à la caractérisation de son originalité faute de révéler les choix exprimant un parti-pris esthétique et traduisant la personnalité de son auteur. » (TGI Paris, 3e ch., 15 sept. 2016, n° 14/10978).

La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 28 juin 2022 (CA Bordeaux, 1re ch., 28 juin 2022, no 19/05247) précise que le critère d'originalité peut être évalué en tenant compte des créations antérieures opposées au demandeur pour contrefaçon.(23)

En conclusion, nous pouvons dire que les conditions de la protection du design favorisent le choix de la protection des dessins et modèles. La protection du droit d'auteur ne devant être normalement choisie qu'à défaut, à l'expiration de la protection spécifique ou lorsqu'aucun dépôt n'a été fait à temps et que l'on souhaite agir en contrefaçon .

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Sources

[1] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=7971BDF114AC443A8A63135152674CCC?text=&docid=138101&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=4847368
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000033150751
[3] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=111581&doclang=FR
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000034345310&fastReqId=1083604450&fastPos=1
[5]http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30dd17fff359672b40219606d344a8851e46.e34KaxiLc3qMb40Rch0SaxyOahf0?text=&docid=203219&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1152238
[6] https://www.wipo.int/classifications/locarno/fr
[7] https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/les-dessins-modeles/combien-coute-un
[8] https://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp?lang=fr&treaty_id=9
[9] https://www.wipo.int/hague/fr/how_to/file/
[10] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000025215194
[11] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000025663613
[12] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030243653
[13] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000018204439
[14] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028759799&fastReqId=774593448&fastPos=5
[15] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000006951521
[16] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT0000301156

17. TJ Paris, 3e ch., 2e sect., ord. JME, 3 févr. 2023, no 21/14105 : https://www.doctrine.fr/d/TJ/Paris/2023/JURITEXT000047454947

18.       Cour d’appel de Paris, P.5, chambre 1, 22 novembre 2023 n°21/0560 https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CA_PARIS_2023-11-22_2105608

19.      Cour d’appel de Douai, 1er chambre., 14 mai 2020, n°2017/00516, Trolem c/ Boston Golf Europe https://justice.pappers.fr/decision/4a7edabb79f72d933025d513fc92c1e0

20.       Chambre commerciale, civile 23 juin 2021, n°19-18111 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043711073

21.      Chambre commerciale, civile, 1er décembre 2021, n°19-14490, https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CC-01122021-19_14490

22.      Tribunal de l’Union européenne, 24 janvier 2024, n°537/22, Delta-Sport Handelskontor c/ EUIPO https://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=T-537/22

23.       Cour d’appel de Paris, P.5, chambre 4 8 novembre 2023 n°21/14049 https://www.courdecassation.fr/decision/654c8879e0f87d83181d6e61

24.       Cour d’appel de Paris, P.5, chambre 1, 15 février 2023 n°21/14049 https://www.courdecassation.fr/decision/63edd7fd865b2505dee64df4

25.       Cour d’appel de Bordeaux, 1re ch., 28 juin 2022, no 19/05247 https://www.doctrine.fr/d/CA/Bordeaux/2022/CAPAD3E2D362B6C4D28D7E0

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