LE WEB 2.0 ET LE DROIT

Le web 2.0 se caractérise essentiellement par la collaboration et la participation des internautes au contenu des sites internet. Les sites internet du web 2.0 revêtent une grande diversité, en passant du site communautaire, du forum de discussions, au site d’enchères en ligne ou encore aux blogs.

Les victimes de ces atteintes préfèreront agir contre les opérateurs de sites plutôt que les auteurs de ces contenus en raison de leur faible solvabilité ou de la difficulté de les identifier.

Les opérateurs de sites web 2.0 auront tendance à revendiquer l’application du régime spécial de responsabilité limitée établi par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (« LCEN ») en faveur des hébergeurs définis comme :

« les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

En effet, la responsabilité des hébergeurs n’est pas engagée « du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible (article 6.1.2)».

Cette limitation de responsabilité ne s’applique pas d’ailleurs lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de l’hébergeur.

Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2004 a émis une réserve d’interprétation sur cet article de la LCEN et considéré que « la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers (ne saurait être engagée) si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge. »

Ce régime spécial de responsabilité a pour corollaire l’absence d’ »obligation générale de surveiller les informations qu’elles(les hébergeurs) transmettent ou stockent », de même que l’absence d’ »obligation générale de chercher des faits ou des circonstances révélant des actes illicites.(art 6.1.7 LCEN) ».

L’analyse des décisions des tribunaux révèle que ces derniers rejettent l’application de ce texte en considérant que l’opérateur de site web, en plus de son activité de stockage, est un éditeur (1) ou lorsqu’ils admettent la qualification d’hébergeur, considèrent que l’opérateur ne remplit pas les conditions posées pour bénéficier de la limitation de responsabilité prévue par la LCEN (2).

 

I. La responsabilité de droit commun de l’opérateur de site web 2.0 qualifié d’éditeur

Dans l’affaire Tiscali Media, la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 7 juin 2006 a considéré contrairement au Tribunal de Grande Instance de Paris (décision du 16 février 2005) que Tiscali avait également la qualité d’éditeur au motif que « son intervention ne saurait se limiter à cette simple prestation technique(de stockage) dès lors qu’elle propose aux internautes de créer leurs pages personnelles à partir de son site « www.chez.tiscali.fr ».

A ce premier critère de qualification d’éditeur, est adjoint un second critère : « la société Tiscali Media doit être regardée comme ayant aussi la qualité d’éditeur dès lors qu’il est établi qu’elle exploite commercialement le site puisqu’elle propose aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants directement sur les pages personnelles, telle la page www.chez.com/bdz, sur laquelle apparaissent différentes manchettes publicitaires ».

La qualification d’éditeur permet au juge de sanctionner Tiscali Media au titre de la contrefaçon à l’encontre des sociétés Dargaud Lombard et Lucky Comics dont certaines bandes dessinées ont été reproduites et diffusées sur le site www.chez.com/bdz sans leur autorisation. Il est à noter que le titulaire du site www.chez.com/bdz ne pouvait pas être identifié car les cordonnées d’identification étaient fantaisistes (nom : Bande ; prénom : Dessinée…).

C’est le même raisonnement qui a été tenu par le juge des référés du Tribunal de grande Instance de Paris dans son ordonnance du 22 juin 2007 dans une affaire opposant la société MYSPACE et l’’humoriste J. Lafesse dont des sketches ont été reproduits et diffusés sans son autorisation sur une page personnelle du site.

Le juge a en effet considéré que :

« s’il est incontestable que la société défenderesse exerce les fonctions techniques de fournisseur d’hébergement, elle ne se limite pas à cette fonction technique ; qu’en effet, imposant une structure de présentation par cadres, qu’elle met manifestement à la disposition des hébergés et diffusant, à l’occasion de chaque consultation, des publicités dont elle tire manifestement profit, elle a le statut d’éditeur et doit en assumer les responsabilités. » MYSPACE a été condamné pour contrefaçon pour avoir porté atteinte aux droits d’auteur ainsi qu’aux droits d’artiste interprète de J. Lafesse.

La qualification d’éditeur est critiquable lorsque l’opérateur de site web ne fait que fournir des services complémentaires à l’hébergement telles que la présentation et la préparation du contenu des pages web comme dans les deux affaires citées ci-dessus.

En effet, au sens de l’article 132-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’éditeur est celui qui se voit céder des droits patrimoniaux par l’auteur ou ses ayants droit, à charge pour lui d’exploiter l’œuvre et de la diffuser auprès du public. Or, dans ces deux affaires, il n’y a pas eu cession de droits.

D’ailleurs, dans l’affaire Dailymotion/Nord-Ouest Production (diffusion du film « Joyeux Noël » sans autorisation sur le site de Dailymotion) , le tribunal de grande Instance de Paris a, dans une décision rendue au fond le 13 juillet 2007, rejeté la qualification d’éditeur sur le fondement du critère de l’activité commerciale :

« la commercialisation d’espaces publicitaires ne permet pas de qualifier la société DAILYMOTION d’éditeur de contenu dès lors que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion, raison pour laquelle il engage sa responsabilité. »

 

II. La responsabilité limitée de l’opérateur de site web 2.0 qualifié d’hébergeur

La qualification d’hébergeur implique, en application du régime spécial de responsabilité posé par l’article 6.1.2 de la loi LCEN, « une limitation de responsabilité restreinte aux cas où les prestataires techniques n’ont pas effectivement connaissance du caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère » (affaire Dailymotion).

Or, le Tribunal de grande Instance de Paris dans l’affaire Dailymotion cité plus haut met en avant l’idée d’une présomption générale de connaissance de l’illicéité induite en quelque sorte par le modèle économique du site :

« Dailymotion doit être considérée comme ayant connaissance à tout le moins de faits et circonstance laissant à penser que des vidéos illicites sont mises en ligne » car « le succès de l’entreprise supposait nécessairement la diffusion d’œuvres connues du public, seules de nature à accroître l’audience et à assurer corrélativement des recettes publicitaires. »

De même : « il ne peut être sérieusement prétendu que la vocation de l’architecture et les moyens techniques mis en place par la société Dailymotion ne tendaient qu’à permettre à tout un chacun de partager ses vidéos amateur avec ses amis ou la communauté des internautes alors qu’ils visaient à démontrer une capacité à offrir à ladite communauté l’accès à tout type de vidéos sans distinction, tout en laissant le soin aux utilisateurs d’abonder le site dans des conditions telles qu’il était évident qu’ils le feraient avec des œuvres protégées par le droit d’auteur. »

Le tribunal pousse le raisonnement jusqu’à considérer que « force est de constater en l’espèce que la société DAILYMOTION n’a mis en œuvre aucun moyen propre à rendre impossible l’accès au film « Joyeux Noël », sinon après avoir mis en demeure, soit à un moment où le dommage était déjà réalisé, alors qu’il lui incombe de procéder à un contrôle a priori. »

L’obligation de contrôle a priori mise à la charge de l’hébergeur n’est pas conforme à la LCEN qui exclut expressément une telle obligation.

Les trois affaires mentionnées ci-dessus concernent des sites de partage. Il est intéressant de relever que la cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 12 décembre 2007 (LES ARNAQUES.COM / EDITIONS REGIONALES DE FRANCE-ERF) a décidé que « ce texte (régime de la responsabilité limitée des hébergeurs de la LCEN) doit être appliqué aux organisateurs de forum non modérés ou modérés a posteriori ».

En l’espèce, des messages avaient été postés sur le forum de discussion du site de l’Association « Les Arnaques.com » par des internautes mécontents des services de la société ERF.

Après avoir retenu l’application de la LCEN (point contesté par la société ERF), la Cour a ensuite constaté que « les notifications visées au texte précité (LCEN) n’ont pas été faites … qu’encore, les propos tenus n’émanaient pas d’un animateur du site ou d’un responsable de l’Association, ni d’ailleurs, d’un modérateur mais, des internautes eux-mêmes. » En conséquence, la Cour a jugé que l’Association n’était pas responsable.

Cet arrêt amène à se demander si l’application du régime de responsabilité limitée des hébergeurs de la LCEN ne doit pas être écartée pour les forums de discussion modérés a priori en s’appuyant sur le dernier alinéa de l’article 6.1.2 de la LCEN prévoyant la non application du texte « lorsque le destinataire agit sous l’autorité ou le contrôle « du gestionnaire du forum.

Le régime spécial de responsabilité des hébergeurs a également été appliqué à l’encyclopédie en ligne Wikipédia dans une ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris du 29 octobre 2007.

Le site avait été assigné suite à la parution d’un article révélant l’homosexualité de trois personnes et imputant pour l’une d’entre elles le fait qu’elle avait obtenu un agrément pour adopter des enfants à son militantisme en faveur des couples homosexuels.

Les parties ayant convenu entre elles de l’application du régime de responsabilité des hébergeurs, le tribunal, après avoir constaté que les notifications faites par les demandeurs n’ont pas été faites suivant les formes requises par l’article 6.1.5 de la LCEN, a conclu que la responsabilité de la fondation WIKIMEDIA ne se trouvait pas engagée.

Les décisions des tribunaux sur la responsabilité des sites du web 2.0 évoquées précédemment traduisent leur difficulté à trouver un équilibre entre la protection des droits de propriété intellectuelle et des droits fondamentaux des victimes de contenus illicites et le développement des sites web.

Pour ces derniers, le législateur a mis en place un régime propre de responsabilité des hébergeurs afin d’éviter qu’ »en raison de risques juridiques, ceux-ci soient amenés à censurer abusivement les propos, informations et discussions qu’ils hébergent afin de ne pas voir leur responsabilité engagée." (cour d’appel de Versailles du 12 décembre 2007 Affaire Arnaques.com)»

Cet équilibre est difficile à trouver. Et les acteurs eux-mêmes du web 2.0 tendent à s’organiser. Ainsi a été créée en décembre 2007 l’Association des services internet communautaires (ASIC) sous l’impulsion d’AOL, Dailymotion, Google, PriceMinister et Yahoo : « Nous, acteurs du web 2.0, souhaitons montrer, à travers la présente initiative de regroupement professionnel, une démarche responsable vis-à-vis des consommateurs, des pouvoirs publics et de l’ensemble des acteurs économiques et culturels. »

L’un des objectifs principaux de l’ASIC est d’obtenir un statut spécifique mieux adapté conférant une relative protection juridique en contrepartie de leur volonté de lutter activement contre le piratage et la contrefaçon.

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